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Articles - Une vie qui se révèle au coeur du souffle. En mémoire de Françoise Dolto


Denis Vasse, psychanalyste d’enfants, jésuite, auteur notamment de « Le temps du désir » et « Le poids du réel : la souffrance » (Seuil, Paris) a lu ce texte lors des funérailles de Françoise Dolto à Paris, à Saint-Jacques-du-Haut-Pas, le 30 avril 1988.

Il y a plus de vingt ans, alors que je rencontrais pour la deuxième ou troisième fois Françoise Dolto dans le cadre d’un travail de contrôle analytique, elle m’invitait, alors que je lui rendais compte d’une cure, à chercher avec elle dans l’Évangile de saint Luc, le passage où il était dit : Nous sommes des serviteurs inutiles.

Françoise était au service de la Parole.

Avec elle, nous étions initiés à ce travail d’écoute du ressenti d’où naît l’interprétation, « le parler vrai » comme elle dira. Si nous ne laissions pas se développer en nous ce travail, son silence ou une subtile interrogation  nous le laissait entendre, mais, en le faisant, nous n’avions pas à croire que nous étions indispensables à la découverte du chemin de vie par où la vérité vient à nous en ressuscitant le désir embourbé dans le jeu des fantasmes ou verrouillé dans le non-dit. « La vie ne ment pas » me disait-elle. Ce chemin de la vie qui ne peut pas mentir, Françoise le suivait avec une immédiateté qui pouvait paraître magique. Les effets de miracle qui s’ensuivaient pouvaient parfois excéder l’homme de science – pour ne rien dire du théologien. Elle ne puisait pas la fraîcheur de son interprétation dans le contenu d’un discours théorique. Elle la puisait à la source de ce qui parlait en elle et qui, échappant à toute manipulation intellectuelle, touchait au vif du transfert.

Même si elle révèle le mensonge – et, d’une certaine manière, parce qu’elle le révèle – la parole vivante ne peut pas mentir. Elle ne ment pas alors même que nous nous trompons ou que nous

sommes dans l’erreur.

Les Dolto-chocs, comme disait Catherine (1) court-circuitaient parfois les médiations théoriques qui organisent la conscience de dire quelque chose de vrai. Françoise, elle, touchait au vrai et parlait au cœur sans souci de démontrer un savoir. Elle ne mettait jamais d’obstacle, au nom de ce qu’elle aurait pu savoir ou ne pas savoir, à ce qui se disait en elle. Mais quand bien même on s’en moquait, elle savait qu’elle aurait été détournée de son chemin si elle s’était tue alors qu’on lui demandait de parler. Etonnante. Elle écoutait les mots et elle parlait, par delà le contenu du discours, de ce qu’elle avait entendu en elle avec une liberté jamais prise au filet de la séduction.

Psychanalyse, disait-elle.

Oui, assurément, mais don aussi, et don de Dieu que cette écoute qui entend ce que les mots ne savent pas encore dire.

De ce don, elle ne cherchera pas à tirer gloire dans le monde. Et pas davantage, elle ne tentera de dénier ce don ou de le confisquer quand l’heure viendra de la médisance ou de la calomnie.

Offerte par sa notoriété et par sa générosité dans l’exercice de son art et de son écriture, aux jugements de chacun, Françoise, jugée, ne jugeait pas. Elle était étrangère à la jouissance contenue dans l’expression d’un jugement qui se croit supérieur. Et je ne suis pas seul à pouvoir en témoigner.

A ce seul signe, se manifeste, dans le monde qui est le nôtre, la recherche d’une vérité qui conduit au cœur de la vie jusque dans la génération de la chair et jusqu’au coeur de l’enfant abandonné et livré à la violence d’un monde sans parole qui, quelques semaines avant sa mort, alors qu’elle était munie des tuyaux lui fournissant l’oxygène qui la faisait  vivre, lui avait demandé : « Donne-moi ton vent ! » Elle lui avait fait sentir sur le dos de la main le courant de l’air qu’elle respirait, en lui parlant de son souffle de vie, à lui.

Ce n’est pas parce qu’elle était impuissante à pénétrer la théorie des adultes que Francoise Dolto restera dans notre mémoire comme la psychanalyste qui vient à la rencontre des enfants, c’est parce qu’elle n’avait pas peur de ce qui parle au cœur de l’homme : l’enfant Dieu.

Peut-être n’a-t-elle pas toujours su que le don de la vie qui était la sienne était la manifestation du pardon de Dieu. Le chemin qui l’y a intimement et royalement conduite se révèle, pour moi, à partir du jour où, l’an dernier, elle me demandait, à peine arrivé dans sa maison, de chercher dans la Bible les deux phrases qu’elle voulait faire inscrire sur sa tombe : N’ayez pas peur et Je suis le chemin, la Vérité, la Vie. Ces phrases qui, dans l’Évangile de Jean, lu tout à l’heure, nous conduisaient à la contemplation de la Trinité. « Tout enfant, me disait-elle, c’est la fête de la Trinité que je préférais ».

A n’en pas douter, et Boris (2) ne m’aurait pas contredit, à travers la trajectoire et les avatars de son désir propre, Françoise n’a eu qu’un Maître, celui qu’elle appelait le Maître du désir. Délivrée qu’elle était de la peur qui entraîne au refus de vivre, elle a suivi le Christ dans la foi que le désir indique, en nous et entre nous, comme étant la Vie qui nous est donnée en Vérité, c’est-à-dire dans la vie comme dans la mort.

Denis Vasse


(1) Catherine est la fille de Françoise Dolto.

(2) Boris était son mari.