« Il n'y a que dans l'ouverture à l'Autre
que la question de la vérité qui parle peut se poser. »

Entretiens - Nommer un père, c’est nommer sa relation avec la mère

LA CROIX

Spécial Noël

Paru le: samedi 21/12/1998

L’année du Père. « Nommer un père, c’est nommer sa relation avec la mère » Tout homme est le fruit d’une alliance. C’est ainsi que Dieu est Père en ayant épousé l’humanité. ENTRETIEN : P. Denis Vasse. Jésuite, psychanalyste.

MONROE Laurence

– Comment l’expérience humaine de la filiation aide-t-elle à entrevoir ce qu’est le don de Dieu ?

– Dans la question même du père existe une référence à la foi. « Toute paternité vient de Dieu », dit saint Paul. De fait, nous n’avons accès au père que par la mère. Si la mère ment, ou cache le nom du père, cet enfant-là aura à laisser travailler en lui la question de la vérité et du mensonge. Car si un enfant pouvait ne pas avoir de père, il ne ferait pas partie de la génération humaine. Et là, la parole de la mère est fondamentale. La parole fonde la relation entre un « je » et un « tu ». Elle est trinitaire. Nommer un père, c’est nommer sa relation avec la mère. Le « père » et la « mère » n’existent que dans leur relation l’un par rapport à l’autre. C’est-à-dire dans l’alliance. Ainsi, ce qui éclaire la relation de l’homme à Dieu n’est pas la relation du fils au père mais bien de l’enfant aux parents. Cela n’a pas de sens de parler du père sans en référer à la mère. Un père, en dehors de l’alliance, est un homme, pas un père. Le Dieu Père est celui qui a épousé l’humanité pour engendrer les hommes. N’a-t-il pas fallu que Jésus ait un père et une mère ? Joseph est le père dans l’alliance. Il a aimé l’amour en Marie. Ce qui unit Joseph et Marie, c’est l’amour même de Dieu pour les hommes.

– Comment se pose au psychanalyste que vous êtes la « question du père » ?

– Toute personne pose la question : « Comment vivre sans amour ? » Nos patients posent négativement la question de Dieu parce qu’ils sont en manque d’amour et ce manque renvoie à la question de l’origine. Parler de l’origine est une manière de parler de ce qui est notre source, de ce qui nous fait vivre. On se pose la question quand on est en manque. En manque de cette présence sans laquelle nous ne sommes pas présents les uns aux autres. Il n’y a pas plusieurs amours. L’amour du prochain c’est l’amour de Dieu. C’est la même source, la même vie qui se donne. La

fraternité n’a pas moins de poids que la paternité.

– N’y a-t-il pas danger à trop vite superposer paternité humaine et paternité divine ?

– Dès qu’on parle de paternité, on soulève la question de la Révélation. Edith Stein dit que la vérité est recherche de Dieu. L’humanité prétend se suffire à elle-même et accéder à la vérité par le savoir… C’est aussi mensonger qu’un individu qui prétendrait être sa propre origine, se voudrait tout-puissant sur sa vie. C’est cela la névrose : le « moi tout seul ».

– L’humanité sans Dieu serait névrosée, comme l’homme à qui l’on cache l’existence

de son père ?

– Le « Moi tout seul » est celui qui refuse d’être fils. Il est moi. Il est tout. Il est seul. Il n’a besoin de personne. Il ne reconnaît pas son manque. Il ne reconnaît pas l’autre. Aujourd’hui, on ne pose plus la question du père, ni de la différence sexuelle. Dès lors, la question de l’origine ne se pose plus. Le même produit le même. L’humanité n’est plus épouse. L’homme se prend pour le vivant et s’imagine que c’est lui qui fait vivre. Il y a un orgueil formidable à ne plus se référer à la vie comme à un autre. Jésus-Christ est l’autre par excellence. Par lui seul, nous avons accès au Père. Sans lui, nous n’avons pas non plus accès à la Mère, l’humanité. Jésus est appelé « Fils de l’homme ». Il est « Fils de David »… Pourquoi ? David est justement le roi choisi par Dieu parce qu’il demande pardon.

– Rencontrez-vous des patients révoltés contre Dieu parce que blessés dans leur relation au père ?

–       Je ne crois pas que notre relation au père pollue notre relation à Dieu. Mais elle révèle la relation de l’homme à l’amour et cette relation est par nature blessée, imparfaite. Or, comme le pardon est la source de l’amour entre un homme et une femme, la croix, ce don sans condition, est le lieu où Dieu se révèle comme Père. Par son Fils, nous devenons fils adoptifs. Adoptés par le désir de Dieu.

Recueilli par Laurence MONROE.

LIRE AUSSI

De Denis Vasse : Le Temps du désir, réédition 1997, Seuil, coll. « Points Seuil », 184 p., 43 F et Inceste et jalousie, la question de l’homme, (1995), 312 p., 139 F.

« Il n’y a pas plusieurs amours. L’amour du prochain c’est l’amour de Dieu. C’est la même source, la même vie qui se donne ».