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Entretiens - Les chemins de l’Évangile en famille

La CROIX
Dossier paru le: samedi 01/07/2006

Les chemins de l’Évangile en famille.

« L’enfant rappelle que Dieu est le don de la vie ».

Parents et enfants s’indiquent mutuellement la source du don.

Interview de Denis Vasse,
jésuite et psychanalyste (1).

MAUROT Elodie.

– Voyez-vous la famille comme un lieu d’éveil spirituel ?

– La famille l’est nécessairement. C’est même un lieu de naissance spirituelle, c’est-à-dire un lieu de naissance de l’homme. Ce qu’essaie de faire le monde moderne, c’est d’organiser une famille dont les liens ne seraient pas spirituels. Naître, ce serait surgir de la jonction d’une moitié du patrimoine génétique du côté de la mère et de l’autre moitié du côté du père ! Alors que la naissance ne vient que d’une communion, dont le rapport génétique n’est qu’une métaphore. Ce qui fait l’unité de l’homme, c’est la différence. C’est dans cette unité-là que se manifeste l’Esprit. L’homme n’est pas d’abord homme et spirituel ensuite, il n’est homme que d’être spirituel. Être spirituel, c’est être dans l’unité de l’Esprit. Et être dans l’unité de l’Esprit, c’est pour l’homme être dans un rapport à la femme, et la femme être dans un rapport à l’homme, où tous deux sont en rapport originel avec quelque chose d’autre qu’eux. C’est de cette triangulation-là que naît l’enfant.

– Comment les parents peuvent-ils transmettre quelque chose de l’ordre de ce

spirituel ?

– Le savoir intellectuel et universitaire s’est développé de telle façon qu’aujourd’hui, pratiquement, il est interdit de transmettre quelque chose en en témoignant. Selon les règles du savoir, vous devez transmettre quelque chose d’objectif, c’est-à-dire dans un rapport d’extériorité avec vous-mêmes. Or les enfants sont perdus avec un savoir où on ne s’implique pas. Un jour, Lacan m’a demandé de définir la perversion. J’étais un peu pris au dépourvu, mais j’ai donné cette réponse : « Être pervers, c’est dire la vérité pour ne pas la faire. » C’est ce qui détruit la parole de vie. Témoigner de la vérité, à l’inverse, c’est témoigner de la vérité de la vie en nous, au prix parfois de ne pas pouvoir la dire… Il n’y a pas de vivant qui puisse continuer à vivre, s’il ne croit pas que la vie est la vérité de la vie. Ce qui caractérise la foi, ce n’est pas de savoir, mais de croire. Ce n’est pas parce qu’on le sait et qu’on veut le dire qu’on le transmet. C’est parce qu’on le vit. Le témoignage des parents ne doit pas passer par une attitude moralisante. Les grands névrosés et les grands psychotiques, d’ailleurs, sont ceux qui ont été ordonnés à l’image ou la ressemblance de leurs parents… Les parents ne peuvent qu’indiquer la source du don.

– Quand les parents peuvent-ils nommer Dieu devant leur enfant ?

– Tout de suite ! Souvent, les parents disent : « Je parlerai de Dieu à mon enfant

quand il sera plus grand, parce que maintenant, c’est trop difficile et il ne comprend pas. » Comme si eux, ou vous, ou moi, nous comprenions de quoi nous parlons quand nous parlons de Dieu ! Il est toujours assez tôt pour parler du don de la vie, qui est ce sans quoi nous ne pouvons pas vivre. Sinon, nous restons coincés dans ce qu’il faudrait être ou avoir pour être aimé…

– Comment parler de Dieu en famille ?

– La chasteté requise dans la tendresse due aux enfants ne peut que parler de Dieu. Car l’amour y parle d’un don de la vie qui ne cherche pas sa propre satisfaction. Elle parle d’un amour qui trouve sa vérité dans la générosité effective, c’est-à-dire dans le détachement même de l’amour. Cet amour-là parle de Dieu. Les parents peuvent aussi aider leur enfant à discerner ce qui les entraîne du côté de la joie, qui est toujours du côté de l’amour véritable.

– Cela, les parents peuvent en témoigner malgré leurs propres difficultés…

– Bien entendu. J’ai un souvenir d’enfance à ce propos. Mon frère aîné ne voulait pas aller se confesser, expliquant à mon père qu’il ne savait pas quoi dire au prêtre. Mon père lui a répondu : « Moi, j’ai été me confesser et j’ai dit que j’avais fait toutes les fautes, sauf de tuer. » Je vous garantis que cette manière de faire m’a sauvé ! Elle m’a montré que ce n’est pas parce qu’on pèche qu’on ne peut pas croire.

– Entre parents et enfants, il y a un rapport de filiation, mais ne sont-ils pas également appelés à devenir frères ?

– Il ne faut pas le dire trop tôt. Parents et enfants ont à être frères, dans la mesure où ils sont des hommes et des femmes de la même humanité. Mais les parents ont à transmettre ce qui est de l’ordre de la loi, même s’ils ne sont pas parfaits. Cet enseignement ne peut se faire que sur le mode objectif. Vous ne pouvez enseigner que si vous témoignez de ce que vous êtes, sans faire semblant quand vous avez des moments difficiles à vivre. Pourtant, il y a aussi un passage dans l’Évangile, où les rôles sont inversés. C’est la scène où Jésus, à 12 ans, reste avec les docteurs du

Temple pour la fête de la Pâque. Jésus a disparu et ses parents sont affolés. Ils le retrouvent au Temple et l’enfant leur fait cette réponse incroyable : « Ne savez-vous pas que j’ai à m’occuper des affaires de mon père », et il sous-entend « mon père, qui est aussi le vôtre ». Ainsi, tout enfant dit à son père et à sa mère : « Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon père ? » Il leur dit : « Je suis venu vous indiquer ce qu’est l’origine vraie de l’humanité. » Tout enfant est le don unique et toujours nouveau de la vie. Et Dieu n’a pas d’autre acte en tant que tel que d’être le don de la vie. Si Dieu n’est plus le don de la vie, il n’est plus Dieu. L’enfant rappelle cela à ses parents.

Recueilli par Élodie MAUROT.

(1) Auteur notamment de Né de l’homme et de la femme, l’enfant (Seuil, 2006), La Vie et les Vivants (Seuil, 2001), Le Temps du désir (Seuil, 1997).