in « Lumière et Vie », 2 place Gailleton, 69002 Lyon, n° 114, 1993
Il y a un lien véritable entre la pudeur et le respect.
Le mouvement de la pudeur est résistance au dévoilement brusque de ce qui est intime. Il dérobe la nudité à l’exposition ou à la consommation du regard. Mais il cède au respect .
Dans sa manière de prendre en considération la chose vue, le respect ne cherche pas sa satisfaction dans le spectacle. Il ne réduit pas le corps nu à son aspect. Il interroge l’invisible.
La rencontre est respectueuse lorsque le regard renonce à la convoitise et que l’écoute y est libérée de toute curiosité, de toute envie de savoir ou de connaître par soi-même et pour le plaisir. Elle convoque alors à la présence ce qui refuse encore de s’y rendre.
Respecter l’autre revient toujours à le rendre à lui-même dans la liberté d’une attente qui l’autorise à retrouver son unité de sujet dans la rencontre. C’est aussi reconnaître dans la joie cette unité. Dans la joie, c’est-à-dire hors jalousie.
Cela ne peut se faire que dans l’amour, en Dieu. En lui, la différence des membres n’est pas opposition jalouse, elle est ordonnée à l’unité du corps dans l’esprit. Pour lui, le Corps est le Temple de l’Esprit.
S’il en est ainsi, le respect fait apparaître ce qui se voit à la lumière de l’esprit qui ne se voit pas. Respecter quelqu’un conduit à interpréter sa chair visible à la lumière de ce qui parle en lui, la vérité. Sa chair, mais aussi tout ce qui vit dans le monde.
Etant la plus haute demeure de l’amour, le respect ne se confond ni avec la préhension des choses, ni avec la compréhension des idées ou des comportements. Il ne retient rien sous la forme de la représentation. Il est plutôt heureux de ce qui lui échappe et qui fonde hors du sentiment qu’il en a, la dignité de l’autre. Le respect est patient. Il attend sans humeur et sans lassitude que l’autre se révèle en vérité quand il le rencontre. Mais il ne prend jamais la parole pour lui dire ses quatre vérités. Encore moins pour le séduire
Respecter quelqu’un, c’est renoncer à la volonté propre de le faire être comme je veux ou de lui faire ce que je veux. Ni en pensée, ni en acte. Le contraire du respect est le mépris qui consiste à traiter l’autre à sa guise.
Comment est-il écrit du Fils de l’homme
qu’il doit beaucoup souffrir et être méprisé?
Mais je vous l’ai dit:
Elie est bien venu et il l’ont traité à leur guise,
comme il est écrit de lui.(Mc 9,12-13)
Le respect dans l’amour va jusqu’au renoncement à la volonté propre d’aimer. Qui ne veut pas aimer par soi-même se trouve propulsé lui-même dans l’amour quand il en fait l’expérience. Détaché de l’autre en tant qu’objet de satisfaction, il le regarde autrement : comme un sujet irréductible à une connaissance. La reconnaissance de l’amour n’est pas de l’ordre du savoir. Elle ne s’en déduit pas et trouve dans la présence qui échappe à ses représentations , l’ espace intersubjectif de l’esprit.
La reconnaissance porte la connaissance au-delà de son objet. Cet au-delà est indiqué par le mouvement du désir qui vise l’intime de l’intime , un au-delà de l’intimité qui n’est pas l’extériorité, mais le dedans du dedans, l’Autre au coeur du Même.
Cette conversion du désir vers l’origine détache l’homme de la connaissance des choses et de lui-même par lui-même. Elle l’autorise à les lire et à se lire parmi elles comme une Présence Originaire voilée ou perdue dans la nuit des commencements … Sans ce déplacement de perspective, le respect se confond avec le repérage mondain des formes et la politesse conventionnelle qui gère les habitudes en se référant aux insignes, aux titres et aux richesses, à la force aussi et à la ruse.
Dévoyée du désir de l’Autre qui fait regarder l’homme à la lumière toujours nouvelle de l’esprit, l’attitude formellement respectueuse traduit vite un dédoublement inconscient, à moins que ce ne soit une hypocrisie morale. Avec elle, l’humilité devient fausse. Au lieu d’être la marque du désir de l’Autre, elle est le semblant d’un service ou d’un amour qui dissimule l’ambition de l’orgueil . Et cette fausse humilité est d’autant plus pernicieuse qu’elle apparaît vraisemblable! La connaissance sans reconnaissance, sans conversion s’égare toujours dans les buissons épineux des à-coté de la connaissance et de la science (para-noïa).
Paradoxe et discernement.
Le mouvement paradoxal de la pudeur signifie la division du sujet humain et ouvre le coeur de l’homme au temps d’un discernement des esprits devant ce qui lui arrive.
Il faut d’abord prendre conscience que l’absence de pudeur qui se donne souvent comme l’expression d’une liberté souveraine dont elle est le simulacre, va de pair avec le manque de respect de l’autre et de soi. Une telle attitude signe, jusqu’à la dérision de l’impudeur, la perte de référence à la parole et le refus de toute altérité véritable. Elle évoque, dans le mutisme, le comportement animal. Ou, et c’est pire, celui de l’ange pervers, non soumis à l’interdit de l’inceste qui fonde la loi des hommes. Alors, le sourire des lèvres, l’abaissement des paupières et la rougeur de la peau ne sont plus la marque de l’esprit dans la chair. Les signes de la pudeur participent de la feinte. Ils sont mis au service de la débauche. Un tel comportement étonne, provoque ou scandalise. À moins que la folie dont ils sont les symptômes chez l’homme nu échappé d’un asile, suscite la compassion la plus grande.
Lorsque la pudeur disparaît ou, plutôt, lorsqu’elle n’apparaît pas, c’est un mauvais signe : la vie perd son sens moral, politique, religieux et même économique. On parle souvent d’un manque de pudeur pour qualifier une outrecuidance verbale ou une scandaleuse opération bancaire. Les hommes ne sauraient être respectés quand les lois ne le sont pas. (Et une loi qui ne verrait pas dans le corps de l’homme, le temple de la vie qui se donne ne saurait elle-même être respectable.) La division de la figure humaine du sexe n’est plus considérée comme le lieu du surgissement du sujet qui fait l’unique vérité de cette différence même? Quand elle autorise la connaissance jusqu’en son renversement en reconnaissance, jusqu’à sa conversion, la différence sexuelle est symbole d’unité du corps humain et par elle naît au monde la Parole qui le fonde.
Hors de cette naissance à l’unité symbolique de l’esprit dans la différence de la chair, l’homme est réduit à l’image qu’il a de lui-même. Il n’a plus accès à la vérité de la présence et se consume compulsivement dans la répétition d’un orgasme qui le vide
Unité et nudité.
Il n’y aurait pas de pudeur s’il n’y avait pas de loi. Elle reflète, en effet, l’interdit de se montrer nu devant l’autre qu’il s’agisse de l’intimité du corps ou des sentiments. Ne dit-on pas de quelqu’un qui expose trop facilement ses états d’âme qu’il se déshabille ?
La nudité de l’âme ou du corps expose l’homme dépouillé du vêtement de l’esprit. Savoir que l’on a perdu ou que l’on risque de perdre ce vêtement de grâce déclenche la tornade du sentiment de la honte et de l’indignité… Prise dans ce tourbillon, la chair n’obéit plus à l’appel de la présence. Elle s’enfuit ou se cache comme pour échapper à sa propre vue, celle d’un corps déserté par l’esprit, inhabitable, et qui tombe en ruines. Ne pouvant plus se reconnaître vivante par grâce, elle cherche à jouir, comme en un miroir, de sa propre image en l’autre. Elle a perdu l’unité de l’esprit dont la différence est le symbole. En s’aimant lui-même, l’homme découvre qu’il est nu, vide et dépouillé du vêtement de l’alliance. C’est qu’Il a omis ou refusé de revêtir la robe nuptiale. Bien des épisodes oniriques mettent en scène le rêveur se surprenant nu ou à demi dévêtu au milieu des autres. Mais il est seul à le savoir. Lorsque les yeux de l’homme s’ouvrent, ainsi, sur sa nudité avec la honte qui s’ensuit, il a à réaliser qu’il a désobéi à la parole de vie. Il a quitté la demeure où il est conçu dans l’alliance et s’est enfermé dans la tour de son image où personne ne peut le rejoindre en vérité quand bien même s’il s’y enfermerait avec lui.
La perte de ce vêtement d’obéissance précipite l’homme de la liberté de fils et d’héritier dans une image de lui aliéné dans orgueil et esclave du péché. Surgit alors le spectre de la peur de consentir au désir de l’Autre et la honte qui le pousse à se réfugier en lui-même où il se perd.
Alors leurs yeux s’ouvrirent
et ils connurent qu’ils étaient nus
…
Yahvé Dieu appela l’homme:
« Où es-tu » dit-il
J’ai entendu ton pas dans le jardin, répondit l’homme,
j’ai eu peur et je me suis caché
(Gn 3 7…9)
Au contraire de la honte qui envahit la conscience qu’elle sidère après la faute, la pudeur la prévient. Alors que le sentiment de honte a quelque chose d’irrémédiable, la discrétion et la retenue de la pudeur empêchent de dire ou de faire ce qui peut blesser la décence, l’honnêteté ou la délicatesse. La honte est consécutive à la négation ou au refus de l’esprit dans la chair: elle survient toujours dans le décours de l’acte d’une chair qui entend se faire vivre elle-même en se servant d’une autre chair ou dans le décours d’un acte de l’esprit qui entend se manifester sans s’incarner. Dans les deux cas, la honte naît de la dissociation de la chair et de l’esprit. Elle coupe la parole et enterre le corps. Or c’est la désobéissance qui rompt le lien de la chair à la parole. Car l’obéissance, elle, engendre la parole dans la chair: elle donne corps à l’homme. Le refus asphyxiant de la désobéissance est la marque du mensonge. Le mensonge fait parler ce qui ne parle pas vraiment: le serpent ou la projection de sa propre image. Il interdit à l’homme de chercher et de trouver son identité dans la parole de l’Autre du désir qu’il ne peut ni penser, ni imaginer.
Se découvrir nu dans la honte, c’est avoir franchi sans discernement les bornes que la pudeur indique pour peu qu’on prenne le temps d’en interpréter le mouvement paradoxal. Se découvrir nu dans la honte, c’est ne pas accéder à la reconnaissance de la vérité qui parle en l’autre et en soi – dans l’Autre – pour s’être laissé conduire, dans la complicité d’une parole mensongère, à l’écart du chemin qui mène à la lumière de la vie.
Dévoyé par la séduction de sa propre image idolâtrée, l’homme perd le rapport à la parole qui le crée dans un corps en surgissant au coeur de sa chair, ici et maintenant.
Ne peut-on pas dire qu’en définitive le moment de la pudeur traduit dans le corps l’annonce d’un combat entre l’esprit de vérité et celui de mensonge? Il ouvre alors au temps du discernement entre la parole qui redonne au corps son unité, dans le respect de la rencontre, et le silence de la complicité qui précipite dans la méprise et le mépris. Le discernement des esprits est l’acte même de la parole de vie dans la chair. Il ordonne sa nudité à l’unité originaire de toute différence. Comment s’étonner alors que le lieu de la pudeur qui ménage le passage du mépris dans la honte à celui du respect dans l’amour soit par excellence le rapport où se conjugue l’alliance de l’homme et de la femme dans le désir de Dieu.
La spirale de la honte enferme l’homme en lui-même dans l’accusation de l’autre et le rejet de toute autorité. Le frémissement de la pudeur, lui, entr’ouvre la porte intérieure au discernement entre le vrai et le faux dans la rencontre. Dans cet entrebâillement surgit la vérité du désir inconscient, celle du sujet parlant et reconnaissant en l’autre la vie de l’Esprit dont il vit.
De la côte qu’il avait tirée de l’homme,
Yahvé Dieu façonna une femme
et l’amena à l’homme.
Alors celui-ci s’écria:
« Pour le coup, c’est
l’os de mes os et la chair de ma chair… »
(Gn 2, 22-23)
L’origine et la naissance.
La honte, ce sentiment pénible d’avoir commis une faute ou d’avoir perdu l’honneur plonge l’homme dans l’obscurité et rend le chemin qui mène à la lumière impraticable. A moins que, niant le concept même de faute, l’esprit libertaire s’affranchisse du joug de la loi sous couvert d’innocence ou de naïveté et, du même coup, se mette, quoiqu’il fasse, à l’abri de la honte. Cette attitude perverse de l’oublieux le plonge dans l’obscurité de la répétition. Elle interdit la conversion des sens, celui du regard notamment. Car jamais les sensations ne peuvent être interprétées à la lumière d’avant la faute, celle qui éclaire la face du commencement de l’histoire tournée vers l’origine. La naissance n’y est lue que dans l’après d’un mensonge qui enténèbre l’autre face des commencements tournée vers l’histoire.
La pudeur non feinte est différente de la naïveté perverse. Sa retenue même des yeux, des mains, du discours, bref de la chair et du sang trahit l’impulsion d’un désir vivant non condamné a priori . Elle n’est pas pudibonderie. Pas davantage dissimulation. Elle témoigne d’un désir encore secret, inconscient, qui, d’être repéré de l’extérieur alors que le sujet ne le connaît pas encore rend dangereuse sa manifestation. Sans l’attirance vers l’autre, le retrait n’aurait pas ces effets de trouble qui trahissent le désir. Ce qui est voilé depuis le commencement réclame le temps et l’espace d’un dévoilement qui attend son heure. Comme la lumière des origines, le désir en apparaissant rencontre les obstacles qui s’opposent à lui en même temps que son apocalypse réclame leur effondrement.
Ainsi, dans la pudeur, se manifeste ce qui contrarie le désir et, du même coup, l’annonce pour peu que celui qui le suscite ne soit pas un faux témoin. Pour accéder à la lumière du désir, il convient de faire la vérité jusqu’au bout. Consentir au désir de Dieu, c’est risquer sa vie pour lui. Il n’y a qu’à cette condition – à la condition qu’il s’agisse de Dieu – qu’un homme peut risquer sa vie pour celle qu’il aime, l’épouser. On comprend que le mariage ait à être précédé du moment de la pudeur qui demande le temps d’un discernement des esprits dans le trouble d’une rencontre qui interroge toujours notre filiation, notre naissance: celle de l’esprit qui enfante des fils dans la liberté ou celle de la chair dont nous sommes les esclaves?
Non simulé et non dissimulé le mouvement de la pudeur est appel à la réalisation des conditions autorisant le respect de l’esprit dans la chair. La pudeur se souvient, dans le moment même où elle est tentée de le nier par crainte, que le désir de l’Autre est le désir de l’homme. La question qu’elle pose, avant même de le savoir, est celle de la vérité ou du mensonge, celle de l’esprit dans lequel a lieu la rencontre. Elle dit que le sujet n’est pas encore prêt à la rencontre et qu’il demande du temps pour parcourir le chemin des fiançailles qui conduit à l’alliance en son accomplissement.
La pudeur est une traversée de la peur. Car toucher au désir caché se fait en vérité dans le respect qui autorise le consentement à sa révélation. L’homme est ainsi introduit dans le temps des médiations de l’histoire. Dans la patience, ennemie de la précipitation et de la transgression, mais fer de lance du désir (Ste Catherine de Sienne). Car la détermination à laquelle elle obéit dans la pudeur véritable ignore les manoeuvres de la fausse prudence ou de la présomption. Aux prises avec la révélation du désir, dans l’épreuve de la pudeur, la connaissance de l’autre et de soi devient sagesse qui craint Dieu et fuit le péché.
Au centre de la loi, le respect.
On comprendra alors pourquoi le mouvement de la pudeur apparaît avec la révélation de l’amour, qu’il s’agisse de l’amour de Dieu ou de celui du prochain. Et il y a fort à parier qu’à l’origine ils ne sont qu’Un. Car où serait l’origine de l’amour du prochain s’il n’était dans l’Esprit qui procède du Père et du Fils? C’est dans cet Esprit de l’Amour que Dieu se re-pose éternellement en Nous par l’incarnation de son Fils. Le respect du sabbat chante le re-pos de Dieu dans l’Amour pourvu que le nom de Dieu ne soit pas prononcé à faux…à propos de n’importe quel amour.
Tu ne prononceras pas le nom de Yahvé ton Dieu à faux,
car Yahvé ne laisse pas impuni celui qui prononce son nom à faux.
Tu te souviendras du jour du sabbat pour le sanctifier.
Pendant six jours, tu travailleras
et tu feras tout ton ouvrage;
mais le septième jour est un sabbat
pour Yahvé ton Dieu.
Tu ne feras aucun ouvrage,
toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes,
ni l’étranger qui est dans tes portes.
Car en six jours Yahvé a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent,
mais il s’est reposé le septième jour,
c’est pourquoi Yahvé a béni le jour du sabbat
et l’a consacré.
Ex 20, 7-11
Il s’agit de se souvenir du jour de Dieu et de célébrer le temps dans lequel s’accomplit la Création par où le Dieu qui est Amour ne cesse de venir à la rencontre de l’homme.
Au centre du décalogue, le commandement de respecter père et mère suit celui de respecter le sabbat. C’est aussi par eux que, dans le temps, il vient à notre rencontre en nous donnant la terre où se prolongent nos jours, les jours bénis de la rencontre avec son Fils pour la rémission de nos péchés.
Quand Dieu donne la vie à l’homme, c’est pour s’y re-poser dans son Fils et avec tous ceux qui sont ses frères dans la chair.
Honore ton père et ta mère,
afin que se prolongent tes jours
sur la terre que te donne Yahvé ton Dieu.
Ex 20,12
Le respect de la chair qui a vu notre jour lorsque nous avons été conçus dans le temps, renvoie au respect de la parole Originaire, hors du temps, qui nous conçoit dans le présent éternel où elle ne cesse de nous convoquer.
Le trouble de la pudeur introduit au discernement des esprits. Avant même qu’on ne le sache ou le veuille, il signale le carrefour d’une route à prendre dans la relation de l’enfant avec ses parents aussi bien que dans la relation de l’homme avec Dieu. Dans chacune d’elle, il convient de suivre la Vérité qui parle et ouvre à la joie de la vie qui se donne, non le mensonge qui enferme dans le mutisme et la tristesse. Dans le paradoxe de la pudeur, nous sommes prévenus de la honte mortelle consécutive à la jalousie de la chair qui refuse l’esprit qui la fait vivre. Mais elle balise aussi l’ouverture d’un autre chemin, encore inconnu, par où l’esprit renié au commencement, vient à notre rencontre et nous fait revenir de l’exil du péché et de l’orgueil du désespoir. Dans le pardon de cette pâque, l’humanité en nous se souvient de la honte du commencement et aspire à la joie dans la clarté de la rencontre originelle.
Espérance et faux espoirs
La pudeur est le début d’une prise de conscience du bouleversement que provoque le conflit entre ce que l’on espère sans le connaître encore, l’Objet du désir, et l’idée que l’on s’en faisait déjà, l’objet de l’imaginaire. L’issue de ce bouleversement se pratique en s’en remettant à la venue de quelqu’un qui témoigne que l’espérance du désir est fondée dans la révélation d’un Dieu de Parole qui, dès l’Origine, s’engendre en Vérité en se donnant lui-même dans la création. Le respect de l’homme va de pair avec la dénonciation des idoles et les faux espoirs qu’elles suscitent. C’est dans la reconnaissance de l’espérance qui nous porte, au milieu des espoirs qui nous trompent qu’a lieu le discernement des esprits que la pudeur appelle.
Dans la démarche des pèlerins d’Emmaüs s’éloignant de Jérusalem (Luc 24,13-35), il y a bien comme une pudeur dans cette manière de se cacher à cela même qui arrive et qu’ils espéraient sans pouvoir le reconnaître. Leurs yeux sont empêchés de reconnaître l’objet du désir attendu dès le commencement dans le peuple de Dieu, celui qui doit apporter au monde le salut. Ils se sont détournés du désir de Dieu dans l’espoir en forme de convoitise que Jésus le Nazarénien délivrerait la nation d’Israël. Ce n’est qu’à la fin du chemin qu’ils parcourent avec celui qui y a fait irruption que leurs yeux s’ouvrent et qu’ils reconnaissent en eux le désir brûlant de l’Amour. Le Christ éclaire leur histoire en interprétant les Ecritures. La parole échangée avec le Fils attendu et venu dans leur chair leur révèle qu’ils habitent avec tous les hommes dans la demeure du Père . Lui a revêtu la robe nuptiale de son alliance avec l’humanité, la chair. Et eux ont revêtu le Christ dans le pardon des péchés. Ils ne le reconnaîtront qu’au pain rompu dans le sacrement de son Corps livré pour la gloire de Dieu et le salut des hommes.
Le Christ se reconnaît au sortir du combat des esprits dont la pudeur est le signe. Nos yeux s’ouvrent sur la nudité du corps du Fils de l’homme exposé sur la croix et ressuscité de la mort où nous étions. Sa chair qui est la nôtre nous apparaît dans une humanité ressuscitée du désir de Dieu dont elle vit dès l’Origine. Dans la chair pendue au bois de la croix, nous ne voyons plus le mensonge et la mort de l’homme, mais le Chemin, la Vérité et la Vie de Dieu qui vient à nous dans l’Esprit.
Dans le chemin de la croix, Dieu vient à la rencontre de l’homme et l’homme va à la rencontre de Dieu, dans un unique Amour.
Denis VASSE