1978- in RECHERCHES ET DOCUMENTS DU CENTRE THOMAS MORE, 1978, 5, N°18, p.1-32.
I – VIOLENCE ET DÉRISION
La violence est un vouloir aveugle de tout ramener au Même.
Son leitmotiv est : « Pas d’Autre ». Inconscient, bien sûr.
La violence du meurtre est fondée sur le principe que tout vie qui fait obstacle à la mienne doit disparaître quand bien même cette vie serait celle de mon propre corps, comme dans le suicide.
La violence du viol est fondée sur le principe d’une jouissance de moi-même extorquée, prélevée sur le corps de l’Autre sans son accord. Elle conduit jusqu’à l’exaspération du fantasme qui tente de prélever sur mon propre corps le triomphe d’un plaisir pur et brut auquel le sujet que je suis n’aurait aucune part.
La violence de l’idéologie est fondée sur le principe que toute réalité qui ne peut pas y être intégrée n’existe pas ou ne peut valoir qu’en se soumettant. Cela va jusqu’à la négation de ma propre expérience dans la mesure où elle n’est pas conforme à l’idée que j’en ai, ou que je dois en avoir.
Ainsi, le principe sur lequel elle se fonde est la primauté de l’imaginaire. Donner la primauté à l’imaginaire, c’est – pour parler en termes de structure psychique, – faire du Moi le maître de la demeure.
La violence est aveugle, car elle vise à tout ramener sous le pouvoir du Même. Quiconque ne peut voir, vouloir et pouvoir que sa propre image est aveugle. Il est aveugle de l’aveuglement le plus redoutable qui soit : celui qui s’ignore.
Fondée sur la primauté du fantasme, la violence fonde sa cohérence réductrice de l’Autre au Même sur un discours (ou un comportement) implacable : implacable est la logique du meurtrier, implacable celle du violeur, implacable celle de l’idéologue.
Le discours de la violence est sans faille, sans manque, sans respiration qui témoignerait qu’à travers lui quelqu’un d’autre parle. Pour les linguistes, disons que la violence consiste toujours à réduire le sujet de l’énonciation au sujet de l’énoncé : rien d’autre que lui-même n’y est signifié.
Le support de la violence est un discours qui ne parle pas.
Il dit « moi » et « rien d’autre ». Il ne peut concevoir de sujet et d’autre que dans l’image qu’il a de lui-même. Paradoxe qui le fait s’enrouler et se redoubler indéfiniment sur sa propre image dans la tentative crispée de se posséder lui-même (comme le recommande une certaine morale), le violent est toujours le même : c’est le MOI-MÊME.
Pour lui, quel que soit son acte, qu’il ait la couleur de la ruse ou de la force, il n’y a que Même ou du rien, du Même ou du « qui ne vaut pas la peine », du même ou du « pas sérieux », du même ou « du rien à dire ».
Avant que d’apparaître dans son discours, la dimension de l’Autre y est déchue, rebutée, rejetée, refusée. Elle n’est plus signifiée par le manque, mais par le refus : elle est réduite à la pure et simple opposition, à l’incompatibilité de la dualité. Tout ce qui n’est pas comme moi est contre moi ! Il ne peut y avoir d’autre que moi…, que des images de moi. Ainsi en est-il pour la bête de l’Apocalypse… et pour Narcisse.
L’opposition de la spécularité ou, si vous voulez, la spécularité inhérente à toute opposition ne renvoie jamais qu’au Même sans arriver pourtant à le fonder puisque seul l’Autre fonde l’identité du même. La fondation du même par le même est dérisoire. La reconnaissance de soi cherchée dans l’image de soi est dérisoire à en mourir. Dérisoire, car à la place d’un tiers par rapport auquel serait établie la différence structurante entre « moi » et une image de moi qui me représente, mais qui n’est pas « moi », à la place de ce tiers, il n’y a jamais qu’une autre image de moi.
La violence est le refus, rejeté sur l’origine, de s’inscrire dans une trinité : la dualité mortifère qu’elle suppose (Caïn et Abel) ne se soutient que de ce refus de la parole qui est la dimension nécessaire à l’irruption du tiers. La violence qui détruit ne se soutient que du refus forcené de la parole qui brise la dualité et fait sortir de l’aliénation à sa propre image. Qu’elle soit refus, implique que quelque part – dans l’inconscient – se trouve exclue, refoulée, voire forclose la dimension de symbolique, c’est-à-dire de la rencontre dans la séparation.
La violence est toujours refus de la parole qui crée la différence ou, plutôt, elle est refus que la différence (entre l’homme et la femme, entre l’enfant et la mère, entre le même et l’autre) témoigne du Tiers, de l’Autre sans lequel la parole ne peut même pas se concevoir.
Secrètement, la violence la plus clastique qui réduit tout au même, c’est-à-dire à rien, ne se soutient que du refus d’écouter la voix qui parle en nous de l’Autre, la voix du sujet inconscient. La voix qui parle en nous et nous constitue comme interlocuteur de l’Autre, comme Sujet (ça parle), fait violence au moi s’abîmant dans sa propre image jusqu’à mourir : elle désigne le Sujet non comme l’interlocuteur du MOI (ou de son image), mais comme l’interlocuteur de l’Autre qui n’a pas d’image, mais qui seulement est exigé quand Je parle comme lieu où la parole trouve sa dimension de vérité.
La parole brise le regard : elle fonde ailleurs que dans l’imaginaire la réalité du Sujet. C’est par cette violence intime, secrète et qui n’est pas quantifiable que la parole nous délivre de la violence cosmique, visible et indéfiniment comptable de ses actes destructeurs. À la violence intime et discrète de la voix qui parle en nous et dont le signifiant est le visage s’oppose la violence extérieure et indiscrète d’une image de nous-mêmes qui se tait ou se moque de nous et dont le signifiant est l’objet que nous n’avons pas ou que nous ne sommes pas : ce qui fait l’angoisse devant le miroir que l’on casse pour ne plus se voir, c’est précisément que l’image qu’il nous renvoie ne correspond pas à celle que nous avons de nous-mêmes. Au miroir, nous ne nous voyons pas, nous voyons ce qui nous manque : la puissance ou la beauté, au choix. Les psychanalystes disent : le phallus. Il s’ensuit alors que pour nous rendre conformes au miroir à l’image que nous nous faisons de nous, nous allons avoir recours à toutes les ruses et nous affubler du masque de la puissance ou de celui de la beauté (c’est du pareil au même). Mais plus réussis sont le masque et la mascarade, plus dur est le réveil à la chute du masque.
S’en remettre au regard, c’est-à-dire à l’apparence, pour que quelque chose du sujet nous soit révélé est, me semble-t-il, la source et l’origine de toute violence, l’inversion qui tente de fonder l’être sur le paraître qui n’est jamais que projection du même.
S’en remettre au regard ne peut se comprendre que dans un refus de s’en remettre à la parole qui institue le sujet dans son devenir. La défiance qui engendre ce refus ou ce refoulement tient aux avatars du désir, et aussi bien du désir de l’Autre que du désir du sujet. L’homme en effet ne peut faire confiance à la voix qui parle en lui du sujet que si cette voix se trouve authentifiée et reconnue dans l’écoute d’un Autre qui, le premier, lui a parlé, c’est-à-dire l’a appelé à devenir sujet du langage.
Aux yeux du violent qui ne voit pas qu’en tuant il se tue, la symbolisation dans la parole (son opération), la signifiance, le surgissement de la dimension du sujet et de l’Autre à travers les oppositions du discours, apparaissent comme la violence ultime d’une Loi, d’une instance (symbolique) qui détrônerait l’instance imaginaire de son Moi, idole projetée à l’origine. Le violent ne supporte pas que la Loi qui témoigne de la parole soit avant lui : il projette la violence qu’il fait à la loi en tuant, en violant, en volant, en rendant de faux témoignages dans l’affirmation que c’est la loi qui lui fait d’abord violence.
Et il n’est pas impossible que cela soit « vrai » dans la mesure où ce qu’on appelle loi peut se vider du contenu de la promesse qui la fonde. La loi devient alors un discours (pervers) déconnecté de la parole et du désir de l’Autre, une loi qui tire sa force de sa cohérence imaginaire, parce que c’est objectivement mieux, comme on dit, familialement, socialement, politiquement ; qui tire sa force de l’organisation des objets et de la loi qu’ils imposent à ceux-là mêmes qui s’y projettent comme en leur image : je veux dire les hommes.
Alors, cette loi-là est essentiellement violence.
Elle prétend produire l’organisation d’une société et, dans cette société l’organisation psychique de chacun… à partir des nécessités de la production ou de celles de l’administration. De promesses, alors, il n’y a plus que celles qui sont électorales, où – comble de la dérision ! – le Même nous affirme qu’il va faire advenir l’Autre ! Le rapport entre le même et l’Autre n’y est plus réduit qu’à une opposition de discours, sans signifiance.
En cette période pré-électorale, les exemples abondent et l’opposition des partis ne renvoie à rien d’autre qu’à l’opposition dans les partis : le même se redouble dans un dédoublement du même qui amorce une réduplication indéfinie comme lorsque deux miroirs se trouvent face à face. Ainsi, l’opposition entre la droite et la gauche renvoie à l’opposition entre la droite et la gauche dans la droite et dans la gauche : manière de dire que l’opposition ne signifie qu’elle-même et non plus la différence effective qui témoignerait de la vérité de ce qui est promis. La parole est perdue.
Ce redoublement du même, cette perte de la différence, cette négation de l’altérité rendent dérisoires nos divisions et le désir qui est censé s’y manifester : la dérision du langage est toujours un effet et une cause de la perversion du désir.
De part et d’autre, on s’en va affirmant que « tout est politique », ce qui veut dire que tout doit être ramené à l’organisation du même et selon la vision de celui qui sera le plus fort. Si vous ne dites pas aujourd’hui que tout est politique, vous paraissez ridicule… et c’est d’avoir peur de paraître ridicule (aux yeux du même) que nous devenons dérisoires. C’est la caractéristique du discours du même, sans prétention à la suffisance et à la domination, de rendre dérisoire l’être de la parole. L’être de la parole est rendu dérisoire à partir du moment où la parole n’ouvre plus le sujet à la dimension de l’Autre et ne l’inscrit plus dans le réel.
« Tout est politique », c’est aussi dérisoire de le dire quand on parle de l’intérieur de la politique que de dire que « tout est grâce » quand on parle de l’intérieur de la foi, ou de dire que « tout est argent ou économie » quand on parle de l’intérieur de l’économie.
Que ces formules soient dérisoires ne veut pas dire qu’elles ne sont pas vraies : cela veut dire que ce qu’elles pourraient avoir de vrai est rendu absolument faux dans la mesure où elles servent à l’effacement des contradictions (et par conséquent du discernement entre le vrai et le faux !) et les signifiants se replient sur eux-mêmes dans un discours qui n’a plus de sujet. Ce subtil et subreptice retournement du même sur le même ne vient que renforcer la position narcissique de chacun : choisissez : La politique est tout ! la religion est tout ! l’argent est tout ! vous choisirez forcément à votre image à moins que, croyant pouvoir vous défiler, vous en veniez à nous dire que la psychanalyse est tout !
Dire que « tout est politique » ne signifie pas que « tout n’est que politique » et cette affirmation n’a finalement de sens que paradoxal et dans la mesure où il est maintenu aussi que « tout est grâce » et que « tout est argent ». Cela veut dire que toutes ces totalités ne s’emboîtent pas les unes dans les autres en un jeu fade et indéfini de pareil au même, clos sur lui-même, mais qu’il s’agit là de totalités ouvertes les unes sur les autres… ce qui finit par poser un problème sur le concept de totalité…
La dérision s’inscrit dans un discours qui ne fait plus sens pour quelqu’un, un discours qui se contredit en disant la même chose, un discours qui dans un perpétuel jeu de miroir renvoie à l’opposé de ce qu’il dit, un discours ambivalent et qui rend fou, car on ne sait plus à quoi s’en tenir et aucune parole ne vient ancrer le Sujet sur le roc de l’altérité. Cette perte de la parole, cet affolement du discours peut être l’effet ou la cause de la perversion du désir, c’est-à-dire d’un désir de l’homme qui ne serait plus désir de l’Autre, mais désir rabattu sur le Moi même, pris pour l’Autre.
La violence, celle qui casse et qui tue, celle qui s’exerce contre le devenir homme, ne se soutient que de la perversion du désir.
Pervertir, c’est changer en mal, c’est dévier un mouvement de son sens et de son accomplissement.
Il n’y a pas de désir sans loi, ni de loi sans désir.
Cela veut dire qu’il n’y a pas de désir de l’homme – qui est en son essence désir de l’Autre – s’il n’y a pas quelque part à l’origine une loi qui maintient ouverte et irréductible la dimension de l’Autre et qui, à cause de cela, autorise, au sens fort, le surgissement du sujet désirant, son devenir.
La loi, donc, c’est ce qui, dès avant l’apparition des signifiants du sujet les ordonne dans la direction du désir de l’Autre. Et c’est de cet ordonnancement antérieur au sujet qu’il tire le pouvoir d’en être les signifiants au lieu de l’Autre.
Dire cela, c’est équivalemment dire que le langage nous précède et nous appelle à occuper, selon sa loi, la position de sujet parlant.
Si l’ordre de la loi est coextensif à un ordre de langage, c’est que la loi comme le langage nous est antérieure et nous donne un ordre. Donner un ordre, c’est s’adresser à quelqu’un selon la loi qui est la sienne avec ce paradoxe : il reçoit ce qui est sien d’un Autre.
S’adresser à quelqu’un, c’est parler. La loi nous parle et elle nous parle de l’Autre, ce qui est équivalemment nous faire accéder au désir et devenir Sujet.
Impossible de nous sortir de là sans retomber dans la désespérance du Même.
Devenir Sujet désirant, c’est accepter d’être dépossédé de l’Image du Même prise pour l’Autre, sans mettre autre chose, un objet, à sa place pour combler la faille de l’imaginaire par laquelle l’Autre est pour nous signifié : combler le manque, c’est faire disparaître le signifiant de l’Autre et, du même coup, ne plus demeurer sous la loi, ne plus devenir sujet.
Imaginer qu’on possède l’Autre dans un objet, c’est – en d’autres termes – ne plus demeurer dans la parole.
Cet imaginaire de la possession dit assez que la possession n’est jamais qu’imaginaire : comme l’objet qui fait sa satisfaction.
La dénégation de l’Autre et du sujet.
Le désir perverti, c’est le désir qui dénie l’Autre auquel, pourtant, le sujet du désir doit existence. Le désir pervers vise l’autre en tant qu’objet, comme une pulsion, et tente de le réduire au même dans la mesure où il le pose. Il ne le pose comme Autre que « pour de rire », juste assez pour qu’apparemment tout fonctionne selon la loi dans les rapports du moi et de l’autre. L’Autre du pervers n’est jamais qu’un semblant d’Autre (un Moi idéal), un Autre à la ressemblance du MOI. Il ne peut concevoir l’Autre que comme un moi triomphant et souverain qui fait ce qu’il veut, qui, au moyen du langage et de la loi, nie tout ce qui n’est pas lui.
Cette dénégation de tout ce qui n’est pas soi peut aller – et elle va toujours – jusqu’à une sorte d’exaltation imaginaire, une sorte d’impression de puissance dans la confusion de la jouissance et de l’horreur, d’une jouissance qui n’ouvrirait sur aucune présence (Sujet et Autre), mais sur le vertigineux redoublement de la jouissance sur elle-même, jouissance folle dont l’approche est relativement facile à repérer, dans l’analyse, car elle est toujours connotée des signifiants du diable, de l’étrangeté, du persiflage, de la dérision la plus térébrante, celle qui vous atteint au secret de l’être, à la jointure des articulations et qui vous dilacère et vous morcelle, parce que justement elle rend dérisoire la parole.
C’est à l’approche de ces flambées de dérision, qui sont si terribles que justement il sera très difficile à l’analysant d’en parler ou même de les évoquer, que sont à craindre les passages à l’acte les plus violents, les plus destructeurs : cette dérision peut aller jusqu’à offrir à l’analyste la comédie d’une guérison …
Plus j’avance, plus il me semble que le pervers entre dans la dérision là où le psychotique entre dans le délire. C’est que la dérision est une sorte de mise en échec de la structure toute entière … en ramenant au même ce pôle de l’Autre qui justement la fait fonctionner.
La perversion rend le langage dérisoire. Mais pour que la dérision ait un effet meurtrier, il faut bien que quelque part elle touche à la vérité du désir : si vous vous moquez de mon chien, ça ne m’atteindra guère ; si vous vous moquez de ma femme, ça me touchera… à moins que, dans un déplacement subtil et non sans signification, je ne puisse supporter que vous vous moquiez de mon chien en trouvant très plaisantes les plaisanteries faites sur ma femme (et ce n’est pas tellement rare !).
La moquerie diabolique, la dérision que manipule le pervers et par laquelle il est manipulé touche au désir naissant, à la naissance et à la source du désir – justement à l’Autre en tant que tel. Et à la foi en la parole (promesse) que ce concept implique.
Tout à la fois, le pervers provoque la foi et s’en moque. Il provoque la demande pour en démontrer l’inanité. Il ne se fiance à son partenaire (homme, femme, enfant, citoyen, Dieu) que pour faire valoir la défiance et lui faire entendre qu’elle était première dans la mesure où lui-même ne voulait rien risquer dans ces fiançailles…
C’est ainsi qu’il est mis au rouet d’une incessante provocation et qu’il met à la roue ses partenaires en ne cessant de les déchirer.
Il est mis au rouet car il ne peut exister de défiance première. La défiance suppose toujours quelque part l’expérience d’un fiance, d’une promesse, d’une bénédiction sans laquelle la défiance n’a pas d’objet. C’est cette promesse que le pervers a oubliée, et même cet oubli est tombé chez lui dans l’oubli, ce qui veut dire qu’il refuse à priori d’en savoir quelque chose : REFUSER A PRIORI CE QUE POURTANT IL DEMANDE … voilà le ressort ultime de la perversion qui prouve, dans le même temps, que la VOIX qu’il refuse à priori d’entendre, il l’a bien entendue, mais qu’il la nie parce qu’elle porte atteinte à l’image qu’il a de lui-même.
La défiance secondaire à la parole originelle, mais rejetée avant elle (à priori), peut aller jusqu’à ne pas supporter ce qui est le support même de la parole : la voix. Ne pas supporter que quelqu’un parle, bien sûr mais aussi ne pas supporter que ça parle en moi (l’inconscient). Et pour cause : parce que l’inconscient, ça parle à partir de l’Autre. Là où il y a une voix (au sens où nous l’entendons), il y a un Sujet et, par conséquent, l’Autre.
La défiance vis-à-vis de la parole qui peut aller jusqu’à cette sorte de phobie de la voix trouve son terrain d’élection dans la CONFUSION qui tend à instaurer la primauté de la cohérence (ou de l’incohérence) du discours sur le témoignage de la parole, à faire comme si le sujet parlant se réduisant à la cohérence (ou à l’incohérence du discours). Se rappeler la dérision de la scène du pompiste et ce qu’il incarne tout au long du film. (« Bonnie and Clyde » d’Arthur Penn)
La passion du pervers est de dire suffisamment la vérité pour pouvoir mentir, de connaître suffisamment la loi pour pouvoir tricher, de posséder suffisamment la lucidité pour pouvoir jouir de la confusion, de savoir suffisamment de psychanalyse pour pouvoir être sauvage, d’entendre suffisamment bien ce qui est dit (ce que dit Dieu) pour pouvoir articuler, dans un subtil contraire, ce que l’on a envie d’entendre (ce que Eve veut).
Le pervers sait quelque part ce qu’est le langage, la loi et le désir, mais il ne le sait que sous la forme d’un refus anticipé de le savoir. Dans la structure perverse, l’Autre y est indiqué juste assez pour que ça fonctionne apparemment et pour que sa place ou sa position puisse être, dans le même temps, avouée et, d’être avouée, réduite au discours, déniée pour que seule subsiste l’assertion imaginaire du Même – à cette place même.
Dans la dérision, cette antériorité du refus de savoir fait du langage déconnecté le lieu d’une valse hésitation mortelle. Si d’une part le langage est fatal, si d’autre part il est antérieur au surgissement du sujet, alors la mort, la fatalité se trouve être inscrite dans le fait même que nous parlions et qu’il n’y a pas d’Autre. Tout discours se trouve alors indexé du taux d’inflation de l’ironie, du « ça ne sert à rien », qui fonctionne comme le ressort d’une lucidité de plus en plus grande en même temps que de plus en plus désespérante, puisque la lumière qu’elle jette sur l’origine n’est jamais que de mort.
Le savoir du pervers ne s’ouvre jamais sur le champ du non-savoir, où il aurait non à se savoir lui-même comme Autre (à se libérer, à se prendre en charge, à s’en sortir) dans la magie d’un cercle vicieux, mais à se recevoir de l’Autre, reconnu comme le trésor de ses propres signifiants et le lieu où la parole prend sa dimension de vérité, reconnue certes, mais non connue, non sue.
Le savoir du pervers ne s’ouvre pas sur la reconnaissance d’un non-savoir de soi où le sujet se trouve confié à la parole qui le nomme dans l’être du langage. Au contraire, cette limite du savoir, il l’éprouve comme refus de l’Autre ; le fait que l’Autre ne soit pas représentable, qu’il soit Autre, lui apparaît comme un refus arbitraire, une limite à transgresser pour que s’épanouisse le Moi (pris pour le sujet). Le désir de l’Autre, il l’éprouve, « le vit » comme refus de l’Autre, inversion et réduction phantasmatique du désir du sujet éprouvé et vécu comme dédoublement du Moi.
C’est pourquoi ce qu’il croit que l’Autre lui refuse, en refusant lui-même de devenir Sujet, le pervers va tenter de l’arracher au signifiant de l’Autre, le corps, à quoi il réduit imaginairement l’Autre : par la force ou par la ruse, il va fouiller et farfouiller ce corps jusqu’à l’étripement dans l’exaltation du frisson de l’horreur. Et pour cela tous les moyens sont bons, les moyens par lesquels l’Autre se donne à penser dans son irréductibilité par rapport au Même ; ces moyens justement vont être pervertis jusqu’à devenir les moyens privilégiés de l’exaltation du Même. Pervertir les moyens, c’est les rendre dérisoires en se servant d’eux comme s’ils avaient pour fonction de tout ramener au Même : ainsi en va-t-il pour le langage dont la dérision ramène constamment toute différence, toute altérité (subjective) au Même, pour la loi dont la transgression ramène toute la visée du désir au même, de la satisfaction pulsionnelle pour le corps, dont la torture – physique ou morale – ramène toute promesse de vie au même triomphe de la mort, dans l’avortement.
Il y a toujours dans la violence qui tourne en dérision le langage, qui transgresse la loi qui torture le corps, la dimension d’un refus comme incorporé et préalable à toute acceptation. La violence se nourrit du refus de la parole : ce refus est si près du lieu où s’origine cette parole qu’il contamine, pour ainsi dire, la source de cette parole, l’Autre du langage. Si bien que la violence qui existe en nous, qui insiste en nous, trouve sa source dans ce refus presque antérieur au surgissement du Sujet, refus qui nous fait demeurer dans l’image de nous-mêmes et considérer comme violence toute parole qui nous délogerait.
La perversion existe contre presque dès l’origine, c’est pourquoi elle est la source de toute violence. Le pervers contre-dit, il contre-fait, il contre-engendre. Il dit des contre-vérités, il fait des contre-façons, il engendre des contre-hommes et des anti-hommes.
Ce qu’il y a en nous de pervers in-siste contre ce qui appelle le sujet à l’ex-sistence. Ce contre nous donne ainsi la comédie d’une limite ambiguë qui, au lieu de nous diviser, nous dédouble, ce dédoublement ayant pour effet imaginaire la dénégation et de l’Autre et du Sujet.
Cette violence n’est ultime que parce qu’elle se nourrit de l’originel refus d’une voix qui instruirait l’homme en le délogeant de la tentation mortelle qui est la sienne : celle de devenir l’interlocuteur de sa propre image.
II – LA VOIX QUI CRIE DANS LE DÉSERT
Polysémie du mot « voix ».
Il n’est pas simple de dire ce que nous entendons lorsque nous prononçons le mot « voix ».
Ou plutôt, c’est si simple qu’il nous est impossible de le faire entrer dans une ou dans plusieurs définitions : cela nous échappe toujours par quelque bout.
Comme tous les mots, le sens du mot « voix » ne se conçoit qu’à partir du contexte dans lequel il est employé, dans une phrase, dans un discours.
Pourtant, tenter de penser la « voix », lorsque le mot est prononcé seul, est un exercice difficile. Et il me semble que cela est dû au fait qu’il ne s’adosse pas immédiatement à un contraire qui en soutiendrait, par opposition, le sens. À la « clarté », par exemple, s’oppose « l’obscurité », au « membre » le « corps », au « faible » le « puissant », mais qu’est-ce qui s’oppose à la voix ? Cette question est toujours embarrassante. Essayez.
Cette absence de contraire immédiat libère par contre le mot qui recevra avec précision sa signification à partir du contexte où il s’emploie.
Ainsi la voix, c’est pour un oto-rhino-laryngologiste, l’ensemble de sons émis par quelqu’un sous la poussée de la colonne d’air faisant vibrer les cordes vocales : elle se caractérise alors par des longueurs d’onde produites selon les lois d’une physiologie complexe et subtile. Pour un artiste, un mélomane ou une cantatrice, la voix est caractérisée par son timbre, son ampleur, sa tessiture, son registre, son volume dans la gamme musicale, ses harmoniques dans une culture, de la Callas à Taos Amrouche.
Instrument de communication sociale, la voix articule un discours – ce qu’il veut dire – à celui qui parle – à celui qui le dit – : un homme, une femme, un enfant ou, plus encore telle femme ou tel homme dont nous reconnaissons la voix avant même de savoir ce qu’elle ou il dit.
Vibration du sentiment, elle indique la modulation de la sphère affective d’un individu : elle trahit l’angoisse, la joie, la colère.
Souvent à l’insu de celui qui la porte, elle souligne l’organe du corps inconsciemment investi par l’économie libidinale : voix de gorge, voix de tête, « voix qui parle à la braguette », comme disent certains commentateurs de radio.
Elle est le support de multiples métaphores du langage face à la nature : une voix de chat écorché, la voix du vent dans les arbres ; face à la technique : la voix des ondes. C’est ainsi que votre garagiste dira en tirant le démarreur de votre voiture : « voyons ce qu’elle dit ».
Indicatrice de la manière dont l’homme se situe dans le monde et dont il éprouve le monde, la voix devient synonyme d’inspiration chez le poète qu’elle ne cesse de ravager et de trahir quand, au plus vif, il témoigne de l’infini du désir et qu’il laisse la trace de « tout ce feu d’une âme sans arôme qui porte l’homme à son plus vif : au plus lucide, au plus bref de lui-même »1. Impossible de laisser courir les yeux sur un texte de Saint John Perse sans qu’une voix s’élève qui rythme le silence dans lequel vous vous tenez. Le poète ne peut pas ne pas écrire et il dénonce en même temps ses propres mots comme « échecs partiels et oeuvres parcellaires », trahissant, agressant ce qui serait vraiment le langage du désir.
Tentative impossible et réelle, car c’est d’être soumis au langage que nous sommes parlant et désirant. Lutte violente autant que sereine entre les mots et le langage. Parce que le poète veut tenir un certain langage, le poète se bat avec les mots. La démarche du poète renvoie au combat de Jacob avec l’ange, d’où l’homme sort blessé et nommé dans une ultime marche (ou démarche) vers son frère Esaü. Le poète fait de ses écrits les traces qui crie dans la sécheresse, dans le désert :
« Agressions de l’esprit, pirateries du cœur – ô temps venu de grande convoitise. Nulle oraison sur terre n’égale notre soif ; nulle affluence en nous n’étanche la source du désir. La sécheresse nous incite et la soif nous aiguise. Nos actes sont partiels, nos oeuvres parcellaires ! O temps de Dieu, nous seras-tu enfin complice ?
Dieu s’use contre l’homme, l’homme s’use contre Dieu. Et les mots du langage refusent leur tribut : mots sans office et sans alliance, et qui dévorent, à même la feuille vaste du langage comme feuille verte du mûrier, avec une voracité d’insectes, de chenilles… Sécheresse, ô faveur, dis-nous le choix de tes élus.
Vous qui parlez l’ossète sur quelque pente caucasienne, par temps de grande sécheresse et d’effritement rocheux, savez combien proche du sol, au fil de l’herbe et de la brise, se fait sentir à l’homme l’haleine du divin. Sécheresse, ô faveur. Midi l’aveugle nous éclaire : fascination au sol du signe et de l’objet ».
« Voix qui crie dans le désert », Jean-Baptiste est aussi le support de la voix qui traverse les Ecritures et que chacun peut entendre nommer Jésus-Christ pour autant qu’il a des oreilles pour entendre et une bouche pour chanter dans le Silence du choeur.
La voix, c’est encore pour moi la lourde interrogation fascinée de mon enfance : je m’arrêtais derrière la porte des mosquées pour entendre indéfiniment répéter le nom « d’Allah » : un vieux musulman m’avait dit qu’il convenait de répéter ainsi le nom d’Allah afin qu’il s’inscrive dans le cœur et je me souviens de m’être surpris à essayer : non sans quelque terreur. C’était aussi la voix du muezzin lancée du minaret vers le ciel et qui, les soirs de Ramadan, libérait du jeûne rituel les êtres qui m’entouraient : du même coup, cette voix entendue leur ouvrait la bouche pour la louange et pour manger, ce qui va toujours de pair.
Enfin, dans la sphère politique, la voix du citoyen est ce qui pèse dans la délibération des assemblées ou dans les consultations électorales : il convient alors de « gagner des voix » dans une problématique fragile de la quantité, toujours et forcément articulée au maintien ou au renouvellement d’un ordre économique.
Et puis la voix, c’est aussi celle d’Hitler au stade de Nuremberg, et ce qui s’en suit dans le dérèglement d’une pathologie collective. Jusqu’au génocide et au suicide.
Comprendre et entendre
Chacune des acceptations du mot voix mériterait un long développement et, quand bien même chacun d’eux serait exhaustif, aurions-nous avancé dans la compréhension de la voix ?
Je ne le pense pas : la voix ne se comprend pas, elle s’entend. Et, pour le psychanalyste que je suis, elle s’entend comme « l’entre-deux originaire du savoir et du lieu »2.
A force de chercher à comprendre la logique qui régit l’opératoire du monde et des êtres, nous devenons sourds. Etre sourd, c’est comprendre sans entendre.
Je connais des enfants qui meurent d’être compris par dévouement, par souci de technique et de science : autant d’armes que fourbit notre imaginaire pour deviner, pour anticiper sur la parole de l’autre et, par là, la lui couper. Je connais des adultes qui meurent et qui tuent de vouloir comprendre, tout comprendre.
Vous exagérez ! me direz-vous.
Oui, si vous croyez que mourir n’est qu’une question de rupture de l’équilibre organique entraînant la décomposition du corps par arrêt de ses fonctions physiologiques.
Non, si vous pressentez que mourir n’est pas si simple pour l’homme. L’homme ne meurt comme un homme que s’il a été appelé à vivre comme un homme parmi d’autres, là où il entend une voix et peut faire entendre sa voix comme cela-même qui constitue l’Homme entre les hommes.
Faire entendre sa voix, parler, chanter, rire ou pleurer, c’est vivre en sujet de la loi des hommes.
Les psychotiques témoignent avec rigueur de ce qu’il advient de la forme humaine lorsqu’ils délirent ou qu’ils sont enfermés dans le plus profond des mutismes, lorsqu’ils disent avec une insoutenable violence que ni la vie, ni la mort ne les intéressent. Il advient que « leur » voix n’est pas la leur parce qu’elle n’évoque, n’invoque la voix qui parlerait d’eux comme sujet de la loi. Aucune voix ne les tire du désêtre de l’origine vide et parler, pour eux, ne témoigne d’aucune rencontre qui donnerait sens à la séparation qu’impose la vie et/ou la mort et qui, seule, actualise, dans l’ordre de la différence et du symbole, le désir d’être un parmi d’autres.
Les psychotiques sont sans voix. Le langage pour eux ne leur parle pas de l’Autre du langage où il viendrait à s’identifier selon les voies du désir ; le langage se réduit à une pure logique du discours, logique sans faille qui les contraint par une violence ultime à habiter des mots ou un mot. Cette violence n’est ultime, dernière que – vous le voyez – parce qu’elle est première et anonyme, comme ils le disent fréquemment, diabolique 3.
Le discours dérisoire
La violence ultime, c’est un discours sans faille. Confronté à un discours sans faille, purement logique, le petit d’homme ne peut faire irruption dans le monde comme sujet du langage : il n’y est pas appelé comme vivant et mortel. Il n’a de choix logique que dans une opposition entre vie ou mort, opposition qui n’est signifiante d’aucun sujet et d’aucun Autre. C’est ce que J. Lacan appelle la forclusion.
Vie et mort sont pour le psychotique dérisoires : leur opposition ne fait pas sens.
Et, en pure logique, ils ont raison.
Cette dérision des mots et de leur renversement dans une pure opposition binaire, spéculaire, les pervers, eux, la manient. Ils en sont les champions. Par cette manipulation, la logique a raison du sujet. Pour eux si vous n’êtes pas tout, vous n’êtes rien ou plus exactement vous sombrez dans l’être rien pour vous quand vous êtes tout pour eux. « J’ai tout fait pour lui – peut dire la mère ou le père pervers – il est invivable ».
Cette violence ultime se caractérise par une antériorité vide où le sujet viendrait s’originer. Il est prisonnier d’une logique qui ne renverrait à aucun langage antérieur comme au lieu de la rencontre du Sujet et de l’Autre. Cette absence d’antécédence du sujet dans le désir de l’Autre interdit au sujet d’entrer dans le temps du désir. Comme ils le disent encore, ils sont comme « à côté » du temps, spectateurs.
Cette absence d’antécédence à laquelle se substitue une antériorité vide, c’est ce qu’on peut appeler la seconde mort qui n’est seconde que parce qu’elle précède la première et la destitue de son sens.
Seconde mort, c’est vrai, et c’est vrai aussi que tout psychotique sortant de l’étau des mots, de la logique, n’accède à la vie de sujet que par une seconde naissance, terrible en vérité, car c’est toute la carapace logique qui s’écroule. Pour devenir sujet du langage, le sujet doit être su je (selon le jeu de mot de J. Lacan)4. Etre sujet, c’est être su-je. Que nous soyons su je par le langage échappe à toute logique. Entre logique et langage, il y a un abîme et le sujet parlant a un pied sur chacune de ses rives.
La dé-signation du sujet
Au carrefour de toutes les sphères logiques qui caractérisent l’homme dans le monde, le sujet dans le langage, la voix se laisse entendre comme ce qui, dans le support de la respiration et de la dynamique du souffle, dé-signe le sujet à partir du langage, hors de toute logique et pourtant, soumis, dans ses représentations, à sa loi.
Surdéterminé, le mot voix doit sa polysémie à la multiplicité de ses emplois mais la voix ne se conçoit (concept) que de n’appartenir exclusivement à aucune de ses séries. Elle est et n’est pas « ça » : cette affirmation et cette négation indiquent le lieu symbolique par excellence où « ça » parle du sujet qui n’est pas « ça ».
Bien plutôt, elles les articulent en cet endroit précis et rigoureux où nous habitons le monde, comme dit Heidegger, en poète. Là où nous faisons le monde qui nous fait, ce qui veut dire : là où nous parlons le langage qui nous parle. Là, le sujet est su je.
Tous les discours que nous pouvons tenir se trouvent excédés par le langage qui nous tient. Le langage dépasse la logique des mots dans laquelle ils prennent sens. Entre le langage qui vient de la langue et le discours qui en résulte et qui, comme disent les linguistes, nous impose un certain découpage du monde, il y a un abîme, dit Lacan 5 – : cet abîme est le lieu de la voix.
Si – dans tous les cas – la voix est ce par quoi nous entendons ce qui nous parle quand nous parlons d’un domaine particulier, si elle est le concept – ce qui conçoit en se concevant – qui nous autorise à prendre et à recevoir la parole de l’Autre, c’est que pour autant que nous y sommes soumis comme sujet, nous y sommes su je, déjà sujet.
La voix suppose que non seulement l’homme parle, mais aussi qu’il écoute : qu’il parle parce qu’il écoute, qu’il écoute parce qu’il parle : cette rupture instauratrice fonde toute logique, mais elle échappe à toute logique. On peut la repérer dans le fait pur et simple que « ça parle » : pointage de l’inconscient. Ça parle, effet de langage, n’a pas de contraire : quand vous dites « ça se tait », ce n’est pas le contraire logique de « ça parle ».
Si la voix n’était que ce qui parle – par nous, en nous, entre nous -, elle deviendrait un pur moyen d’ex-pression : ce qui veut dire qu’elle ne pourrait être comprise que comme l’instrument d’une maîtrise imaginaire, du côté de la pure logique des choses et du discours, du côté du pouvoir que le langage nous donne sur le monde en tant que « pur fait de parler » et d’organiser les signifiants.
Si la voix n’était que ce qui parle, la parole se perdrait dans le sable du bavardage, quand bien même ce sable serait celui, hautement enviable, du savoir et de la science.
Si au contraire, la voix n’était que ce qui s’écoute – par nous, en nous et entre nous – elle deviendrait un pur moyen d’impression : ce qui veut dire qu’elle ne pourrait être comprise que comme l’instrument (objet) d’un esclavage imaginaire, du côté de la pure logique des phantasmes et du discours, du côté du pouvoir que la voix – « fait d’écouter » – donne au monde sur nous.
Si la voix n’était que ce qui s’écoute, la parole ne signifierait plus le lieu symbolique où l’homme réside dans le monde, elle se perdrait dans la fantasmagorie du rêve ou du délire.
À un degré de moins, dans la quotidienneté du diurne, la voix s’enlise dans « le sentiment » que l’on a des choses, des êtres, de la vérité. Nous donnons une voix à nos sentiments, nous les écoutons : « j’ai le sentiment que… ». Voilà une expression qui introduit le plus souvent une position de « quant à soi »… qui nie l’Autre du langage dans la violence d’une pseudo-compréhension. Dans sa préface à la « Phénoménologie de l’Esprit », Hegel écrit : « ce qui est anti-humain, ce qui est seulement animal, c’est de s’enfermer dans le sentiment et de ne pouvoir se communiquer que par le sentiment »6.
La voix est ce qui s’entend à la limite de ses deux compréhensions où « l’être qui est sujet en vérité est la médiation entre son propre devenir-autre et soi-même »7 : c’est pourquoi elle ne se comprend pas, elle s’entend. Avec elle, s’introduit dans la logique une rupture où la logique même trouve sa fondation en autorisant le sujet à faire irruption dans le langage, dans la langue. Là où il surgit dans la mesure même où l’imaginaire (de la logique) se fonde et se brise et où le réel lui arrive comme ce qui fonde le sujet même.
Le Langage souverain
Faut-il le redire, la voix n’est pas que l’émission phonématique, elle est ce qui témoigne de la parole qui constitue le sujet dans son rapport à l’Autre et dans le champ du langage. La voix n’a pas d’écho. Elle crie dans le désert.
Elle traverse la spécularité mortifère du miroir, elle brise l’imaginaire du discours à l’appel du langage souverain. Souverain, le langage l’est puisqu’il « sait » le sujet avant même qu’il advienne dans le corps.
Répondant à ce qui se mi-dit dans le discours, la voix en appelle à l’Autre du langage, au sujet qui n’est là à la fin des fins que s’il ou parce qu’il était là au commencement des commencements, à l’origine.
La voix indique la voie qui mène vers ce qui n’arrive que d’être déjà là : le réel… qui n’est jamais ce que l’on imagine, impossible à imaginer.
La voix est le signe que nous fait le langage, celui de l’être du langage 8.
Heidegger le dit mieux que moi. À chacun son bafouillage :
De quel côté, nous autres hommes, trouvons-nous des ouvertures sur l’être de l’habitation et de la poésie ? Où, d’une façon générale, l’homme prend-il cette prétention d’arriver jusqu’à l’être d’une chose ? L’homme peut la prendre seulement là où il la reçoit. Il la reçoit de la parole que le langage lui adresse. À vrai dire, il la reçoit seulement quand il dirige déjà son attention sur l’être propre du langage et aussi longtemps qu’il le fait. Cependant, à la fois effrénés et habiles, paroles, écrits, propos radiodiffusés mènent une danse folle autour de la terre. L’homme se comporte comme s’il était le créateur et le maître du langage, alors que c’est celui-ci au contraire qui est et demeure souverain. Quand ce rapport de souveraineté se renverse, d’étranges machinations viennent à l’esprit de l’homme. Le langage devient un moyen d’expression. En tant qu’expression, le langage peut tomber au niveau d’un simple moyen de pression. Il est bon, que même dans une pareille utilisation du langage, on soigne encore son parler : mais ce soin, à lui seul, ne nous aidera jamais à remédier au renversement du vrai rapport de souveraineté entre le langage et l’homme. Car, au sens propre des termes, c’est le langage qui parle. L’homme parle seulement pour autant qu’il répond au langage en écoutant ce qu’il lui dit. Parmi tous les appels que nous autres hommes pouvons contribuer à faire parler, celui du langage est le plus élevé et il est partout le premier. Le langage nous fait signe et c’est lui qui, le premier et le dernier conduit ainsi vers nous l’être d’une chose. Ceci toutefois ne veut jamais dire que, dans n’importe quelle signification de mot prise au petit bonheur, le langage nous livre l’être transparent de la chose, et cela d’une façon directe et définitive, comme on livre un objet prêt à l’usage. Mais la correspondance dans laquelle l’homme écoute vraiment l’appel du langage, est ce dire qui parle dans l’élément de la poésie. Plus l’œuvre d’un poète est poétique et plus son dire est libre : plus ouvert à l’imprévu, plus prêt à l’accepter. Plus purement aussi, il livre ce qu’il dit au jugement de l’attention, toujours plus assidue à l’écouter, plus grande enfin est la distance entre ce qu’il dit et la simple assertion dont on discute seulement pour savoir si elle est exacte ou inexacte » 9.
La voix joue avec les mots, avec les sons : elle fait jouer le langage. Seuls, ceux qui sont enfermés dans la logique de la compréhension et qui adhèrent au semblant de domination qu’elle procure dans un sentiment de jouissance aussi phallique que dérisoire, l’ignorent. Ici, les hommes qu’on appelle « pères » dans la logique du discours sont mieux placés que les femmes qui, dans la même logique, s’imaginent « mères ». Pas tous cependant ni toutes.
Je veux dire par là que tous ceux qui ont vu naître un enfant ou qui se sont penchés sur un berceau, penchés suffisamment pour éprouver un peu le déséquilibre de leur propre narcissisme, de leur amour propre (comme on dit) ne peuvent qu’être étonnés de ce qui leur en vient : une voix. Une voix qui vagit, qui hurle ou qui musicalise des sons, une voix qui crie dans le désêtre du corps vers l’être du langage.
Parler vraiment, c’est mettre en œuvre le sérieux de la logique des mots – nécessité – en faisant jouer le langage, la langue – non nécessité. En d’autres termes, plus philosophiques, parler à quelqu’un, c’est articuler la logique du discours, la représentation, au non-logique du langage, à la présence de l’Autre. Ou encore, si vous voulez, c’est raisonner dans la résonance : double articulation de la voix « entre-deux originaire du savoir et du lieu » 10.
La voix, le corps et l’écriture
La voix joue avec les signifiants quand elle les fait jouer là où ils sont captés, déchiffrés, lus, écrits : dans le corps.
Le corps – pour un analyste – est un texte qui lui parle, non pas un texte qu’il devine et interprète à tort et à travers au nom d’un satané savoir sans fondement, mais un texte qui a une voix, qui se lit et qui trouve son fondement d’être déchiffré par une voix.
L’humanité est ainsi faite : un texte unique, le corps, avec autant de manières de le lire que de corps. Paradoxe : le corps est tout à la fois le lieu du texte et le lieu du sujet. Entre les deux, la voix.
Le même texte lu par deux êtres différents ne dit pas la même chose. Prêter sa voix à un texte, c’est lui donner un sens dans des effets d’après-coup puisque c’est révéler que le sujet y était sans le (se) savoir. Il y était su avant de s’y savoir 11.
Les accents de la voix, sa tonalité, son rythme, ses silences, son timbre, sa musique donnent vie à un texte. La voix, elle, donne corps au sujet.
La voix restitue à l’écriture ce que l’encre tue en fixant les mots sur la page : la vie du sujet, la souveraineté du langage.
Écouter la voix d’un enfant (ou de quiconque), c’est restituer à son corps ce que l’encre des organes géniteurs a fixé dans la chair.
Quand elle est seulement pré-texte de la voix, comme dans le narcissisme de qui s’écoute parler, l’écriture ne dit rien ni de l’Autre ni du sujet. Elle se développe en volutes, ennuyeuses à la longue, dans les redondances d’un moi qui indéfiniment se dédouble pour se faire plaisir. « C’est de la merde ! » 12
Quand elle est le texte de la voix, sans effets de redoublements et sans écho, l’écriture ne parle que de l’Autre et du Sujet, quand bien même personne – le moi – ne le saurait.
Essayons d’écrire cela en une formule :
La voix fait retentir l’être du langage comme lieu d’échanges des prérogatives du sujet et de l’Autre, mais, en même temps, l’être du langage retentit dans la voix qui s’entend dans les corps et entre les corps. Comme la trace d’une rencontre, d’une présence, dans la séparation même.
Cette fonction de trace de la voix, les poètes et les enfants en sont les témoins toujours nouveaux. S’ils ont des oreilles pour entendre, les psychanalystes aussi. Comme n’importe qui.
Lire un poème n’est jamais une activité du pur regard. Quand bien même vous le liriez en silence, la voix habite le silence et c’est de là qu’elle répond à l’appel du langage.
Lorsque, dans le secret de votre chambre, vous tombez sur un poème qui vous atteint dans cette loge du silence, il vous déloge et vous êtes comme portés à l’aller dire à votre femme, à votre mari ou à vos amis. Plus profondément peut-être, mais aussi de manière plus cachée, pudique, à votre enfant.
Appel du langage : « Écoute ça », dites-vous et, toutes affaires cessantes, votre voix – mais est-ce votre voix ? – cherche pour ainsi dire en votre interlocuteur la zone de silence où résonne pour lui joie, angoisse, tristesse ou sérénité. « Ça » se met à parler.
En rentrant de l’école, votre enfant interrompra aussi vos affaires quand, de votre bureau ou de votre cuisine, vous entendrez la voix qui le porte :
« Pomme, poire, cerise, abricot
Y en a un ! Y en a une
Pomme, poire, cerise, abricot
Y en a une de trop
C’est Marie Gigot
qui fait des gâteaux
pour son bourricot ! »
À moins que ce ne soit votre frère qui, se trouvant propulsé de sa table de travail auprès de la vôtre, vous fasse entendre ce poème de Patrice de la Tour du Pin 13 :
« Mon plus profond désir : parler de toi ;
ma hantise : te compromettre !
Je ne parlerai plus qu’à toi.
Tant pis pour ma croissance dans ce siècle !
Il parle, sans veiller le mystère de dire,
il pense, mais sans croire aux noces de l’esprit ! »
Ce « toi » dont il s’agit n’est pas vous, c’est celui de la présence que le langage appelle quand la voix s’en empare dans le silence. Et c’est elle qui suspend vos affaires plus que celle de votre frère.
La résonance de la voix suspend nos activités conscientes et médiatise le silence de l’être ou, ce qui revient au même, la parole où le discours prend sa source. Cette résonance se développe dans le registre de « l’heureux » et du « grave ».
Georges Jean, travaillé par les poèmes qu’il travaille à recueillir dans « le Premier livre d’or des poètes » 14, écrit dans sa courte préface qui n’a pas d’autre but que de nous mettre en voix :
« Je dois dire que jamais travail ne m’avait rendu si heureux et si grave. Car il est essentiel qu’un des premiers contacts de l’enfant et du langage passe par la poésie. C’est-à-dire par l’intermédiaire d’une parole où la forme du sens, comme disait Mallarmé, retentit dans l’être entier, dans le corps comme dans l’esprit et libère les pulsions profondes en les organisant. Il ne s’agit en aucune façon pour moi de présenter aux petits enfants quelques suppléments d’âme, comme on dit parfois en parlant de la poésie, ou d’orner leur esprit.
Non, il s’agit d’ouvrir en chacun les cheminements d’une liberté par laquelle le langage est tour à tour un jeu, un miroir essentiel, un instrument de connaissance, de plaisir, de déchirement, et l’une de ces armes miraculeuses par lesquelles les hommes de tous les temps, de tous les âges, de tous les pays et de toutes les races affirment leur fraternité et commencent à détruire leurs prisons ».
Pour être fidèle à Georges Jean, il faut aller plus loin que lui et dire que la « mise en voix », celle qu’opère la poésie, pour lui, n’est pas un des premiers contacts de l’enfant et du langage, elle est l’acte même de la conception et de la réception du petit d’homme dans le monde. C’est de lui que dépend toute sa vie.
La voix et le cri
Pour les enfants des hommes, la mise au monde est mise en voix. Alors, ils parlent. Et c’est d’eux qu’à nouveau nous recevons la parole pour leur avoir donné corps.
Ils parlent ? non, me direz-vous, ils crient.
Le cri, c’est la voix quand elle déchire l’opacité de la chair. Cette déchirure où se façonne tout le registre du symbolique se répercute infiniment dans le langage, dans le rire et dans les pleurs, dans l’amour et dans la colère. C’est dans le rapport de cette ré-percussion à cette percussion première que nous aurons à déchiffrer la vie du sujet.
Dans le cri, la voix appelle à partir du désêtre. Elle tente d’inscrire le sujet dans l’être du langage qui la pré-cède et lui répond en pesant sur elle en retour. Et le sujet n’ex-siste que dans cette inscription originaire et à venir.
Dans le cri, la parole crée la déchirure dans laquelle tout sujet s’origine.
C’est dans le cri que tout à la fois l’homme rend le souffle et prend le temps de sa vie. Une voix qui ne s’éteindra que lorsqu’il en aura fini de rendre le souffle. La soif d’air qui fait crier le mourant est celle-là même qui fait crier le nouveau-né. Deux cris aux effets contraires témoignant d’un unique désir.
Entre ces deux cris d’être, la multiplicité des traces inscrit dans le corps et dans le langage, le sujet qu’elles signifient – « le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant ». Et ce sujet porte un nom irréductible à ces traces. Nul mot, en effet, n’épuise le cri. Nul discours n’épuise la parole. Nul acte n’épuise le désir. Et pourtant, sans mots, sans discours, sans actes, aucun cri, aucune parole, aucun désir n’est audible. Audible ici veut dire : repérable par la voix et référé à la parole.
Le cri est l’irruption de la voix dans le langage. Il ne devient cri de haine ou cri d’amour, cri de haine et d’amour que dans la mesure toujours mitigée où, à travers le cri, c’est précisément la voix du sujet qui est entendue au lieu de l’Autre. Dans l’écoute qu’il traduit en mots, en signifiants, l’Autre du langage vient à la rencontre du sujet dans la séparation abyssale qui les fonde tous deux. La parole fait l’homme : elle est le symbole, support du désir.
Les effets de la surdité ont leur source là : ils naissent de ce que personne n’entend la voix dans le cri pour le traduire en mots pour lui. Par exemple : votre enfant crie et vous vous mettez des boules Quiès dans les oreilles parce qu’il vous dérange ou vous lui mettez le sein dans la bouche pour qu’il s’arrête, ce qui revient au même. Les rétractions du narcissisme et les débordements d’amour sont mêmes.
Alors l’enfant est perdu dans un cri sans voix, dans un mutisme sans silence qui laisse son corps et sa chair étrangers aux mots. Bien mieux, les mots qui viennent heurter ses oreilles n’ont rien à voir avec sa voix, la voix qui cherche à se faire entendre dans la déchirure du cri : ils le remplissent, l’assaillent ou l’emprisonnent comme des choses sans rapport avec lui, avec les sensations qu’il éprouve dans son corps. Ces choses-mots annulent son corps comme lieu du sujet parlant. Prisonnier de ces choses-mots, il ne peut mot dire. Il est l’objet d’une malédiction qui le maudit et l’installe dans la crispation sempiternellement régressive d’un refus qui devient refuge du sujet, ultime et dérisoire protection contre l’agression des mots. Tel est le psychotique. Il reste étranger à son corps, car les mots lui sont étrangers et ne l’altèrent pas de la marque de l’Autre qui le ferait vivre. L’étrangeté n’apparaît que là où l’altérité en sa promesse fait défaut. Les perpétuels essais de se situer dans la peau exclusivement (idéologie du monde moderne) ou dans le discours exclusivement (stéréotypie, perroquet) manifestent à l’envie que le sujet n’a pas trouvé sa place dans le monde symbolique, celui de la parole. Ce qu’il y a de psychose en nous se repaît sans cesse d’une haine ou d’un amour qui s’ignorent et dénient leur opposition signifiante du sujet.
Les effets de l’écoute ont leur source au même endroit. Ils naissent de ce que quelqu’un d’autre entend la voix dans le cri pour la traduire en mots pour nous.
Exemple : votre enfant crie et vous dites : « il a faim ». Vous le dites hors de toute inflation dévouée, vous le dites là où le cri veut faire une brèche dans votre narcissisme, je veux dire dans la logique de votre moi qui a envie de dormir ou de travailler…
Alors l’enfant se trouve représenté par la voix qui le porte dans une alliance dont l’Autre est initiateur, celui qui promet et qui donne, dans un silence sans mutisme, à la frange duquel ses oreilles viennent s’ouvrir dans la quête des signifiants du Sujet. Les mots et ce qui s’ensuit font des sensations des signifiants de son corps, ils viennent se substituer à ses pulsions et ce qui s’ensuit c’est le double bénéfice d’une satisfaction pulsionnelle et d’une ouverture dans le champ du langage. Là où disparaissant, c’est la dimension de l’Autre et du sujet qui apparaît, cette substitution des mots du langage aux pulsions de la logique (sentiments) est symbolisation par la parole. C’est la disparition de ce qui est apparu dans l’espace et le temps qui devient signifiante de l’ex-sistence du désir, de sa réalité symbolique.
Dès lors, les mots ne le remplissent plus comme les choses sans rapport avec lui, ils le constituent comme sujet dans un rapport à l’Autre. Délivrés de la sensation aveugle et sourde, ses yeux et ses oreilles s’ouvrent : il va jouer avec les mots qui le disent si bien et qui sont pour lui béné-diction. « Le langage est bon, le langage est vraiment humain parce qu’il permet à l’homme d’arriver au silence du regard, au désintéressement » 15. Il pourra s’ouvrir, sans disparaître, au progressif acquiescement de paroles modulées par une voix qui rejoint la voix qui crie dans le désêtre de son corps. Il accède à l’être du langage dans le désir jamais comblé d’y rencontrer l’Autre dans la séparation même. Quelles que soient les modalités de formation de cette limite entre le discours et le corps, c’est là que s’origine le sujet parlant. Il s’y origine par la médiation d’une voix qui crie dans le désêtre et à laquelle réponde l’être du langage où il est appelé.
Ce qu’il y a de symbole en l’homme se nourrit de la haine sourde et de l’amour écoutant qui divisent le sujet puisqu’il ne réside tout entier ni dans la haine qui le tue, ni dans l’amour qui l’exalte : il naît à la limite des deux. De ce qu’il n’est ni pur objet de haine, ni pur objet d’amour, il échappe à tout jugement de lui-même par lui-même, à la dérision d’un discours qui prétendrait le connaître comme mort ou comme vie de l’objet.
Nous sommes maintenant à pied d’œuvre pour entrevoir ce qu’est le jeu de la violence : la violence est ce qui abuse du sujet en l’ignorant. Elle est pure logique par son constant retournement en contraires pulsionnels, sans faille. Elle ne fonctionne que dans l’opposition de ses éléments. Négation de l’Autre du langage, elle est un jugement sans appel du sujet, elle construit un monde où rien ne vient répondre à la voix qui crie dans le désêtre, un monde sans parole où le sujet se trouve destitué avant même que d’avoir été institué dans l’ex-sistence. Elle n’en veut rien savoir puisqu’il n’est pas l’objet de savoir.
Mais elle ne peut être pensée comme telle que dans une opposition qui lui est intérieure et qui n’est pas non-violence, mais parole (et non savoir) qui excède la logique de la pure opposition des contraires et qui la brise. Elle l’excède parce qu’elle en est l’origine et elle la brise car elle situe le sujet dans la différence qui l’instaure et non plus dans l’opposition qui le nie. La parole révèle, dans la brisure de l’imaginaire logique, l’Autre du langage, celui qui parle quand ça parle et qui ne s’offre à aucune spécularisation.
Cette violence du désir qui s’oppose sans réversibilité à la violence de la pulsion épistémologique n’a qu’un nom : la paix, qui n’est pas évitement du combat entre la vie et la mort, mais risque pris de vivre en mortel et de mourir en vivant.
La paix du sujet ne s’instaure que comme effet de la « castration symbolique », opération par laquelle l’opposition des mots dans le langage devient signifiante du rapport du sujet et de l’Autre.
Elle introduit la dimension de la loi et du désir, loi qui régit la logique et désir de l’Autre qui autorise la révélation du sujet en devenir dans la voix qui crie dans le désêtre. Avec son inévitable corollaire : la peur de ne pas être su je aussi bien que la peur de le devenir.
Il reste toujours vrai que seule, (la parole donnée et reçue du langage), la raison (comme dit le philosophe) 16 peut donner le contentement (au prix même de la vie), que seule elle est le contentement – accession au silence rempli de la présence – mais il n’est pas moins vrai que cette raison, (cette parole) ne saurait être pour l’homme que dans le médium de la violence, car jamais l’homme ne sort du domaine où la violence, la peur, la peur de la peur sont possibles. Il ne suffit pas de faire comme si la violence n’existait pas, de ne pas en parler, de refouler la peur : elle s’annonce même au philosophe dans la peur de la peur, encore dans l’homme qui veut être raisonnable, qui se veut raison, la passion reste le mouvement de fuite devant le mouvement et le devenir, et la violence ce qui ne dépend pas de lui, mais lui arrive, est ce qui lui donne le courage de sa peur. Il faut qu’il se tourne vers la violence et qu’il la regarde en face ».
Castration symbolique et visage
Voilà bien les philosophes ! Ils nous disent que « la raison qui fait accéder au silence rempli de la présence ne saurait être que dans le médium de la violence » et « qu’il faut que l’homme se tourne vers la violence et qu’il la regarde en face ».
Comment regarder en face ce qui nous entoure de toutes parts, ce au milieu de quoi nous sommes ? Le risque est grand de tourner en rond.
Pourtant, ce n’est pas à cela qu’Eric Weil veut nous conduire : il parle d’une violence qui ne dépend pas de l’homme lui-même, mais qui lui arrive – d’ailleurs, de l’hétérogène, de l’Autre – et qui lui donne le courage de sa peur.
Évoquer le courage et la peur, c’est évidemment se trouver sous la menace. Et qu’est-ce que la menace suprême pour l’homme ? Est-ce seulement de mourir ? Ou n’est-ce pas de mourir sans avoir pris de vivre en homme, c’est-à-dire sans avoir été introduit dans la problématique du Désir qui le fonde comme Sujet parlant ? N’est-ce pas vivre sans s’être risqué – ou avoir été risquer – dans la parole au milieu des pulsions qui l’agissent et le sollicitent de tous côtés ? Le risque ultime de l’homme est le risque pris, au milieu des signifiants pulsionnels auxquels il est subordonné, de s’en remettre à la parole de l’Autre en tant qu’il est le lieu de la promesse. Là où il y a promesse, il y a attente d’un devenir. Là où il y promesse, il y a danger et menace de ne pas voir se réaliser la promesse.
Toute parole de promesse fiance l’homme à celui qui la tient. Ces fiançailles font dépendre le Sujet, dans son devenir, de la parole de l’Autre. Elles engendrent la confiance dans la mesure où la parole tient ses promesses ou, au contraire, la méfiance dans la mesure où elle ne les tient pas. Elles sont le temps de l’épreuve. Tout nouveau-né se trouve fiancé par la parole qui l’a engendré à l’Être du langage, à l’Autre. Convoqué au rendez-vous des pulsions, là où il a soif dans son corps et où il se désaltère, là où se trouvent satisfaites les pulsions de la vie, il rencontre la parole qui l’altère, qui le marque du signifiant de l’Autre. Ses satisfactions sont subordonnées à la présence et au désir de l’Autre dont il garde au cœur la blessure et la trace. À travers tout ce qui le comble, il éprouve ce qui lui manque non dans l’ordre de la possession, mais dans l’ordre de l’être. Dans les meilleurs cas, ce n’est pas d’un manque à avoir qu’il souffre, c’est d’un manque à être qui avive le désir de l’Autre et, du même coup, en est le signifiant.
Tout ceci est largement développé ailleurs et je ne le mentionne ici que pour vous faire mieux sentir que ce qui s’annonce au philosophe dans la peur de la peur, dont parle Eric Weil, n’est autre que ce que Freud a repéré comme menace de la castration. Avec elle, s’introduit le jeu des pulsions et la loi du désir.
Pourquoi ce mot de castration dont l’emploi devenu trop fréquent ne cesse de choquer ? Simplement à cause de ce fait d’expérience où se révèle à Freud la crainte que tout petit garçon éprouve de perdre son pénis, ou de le trouver amoindri, déficient, aussi bien que la crainte que toute petite fille éprouve de l’avoir perdu ou rentré etc… Dans les deux cas, il est clair que ce qui est mis en question pour le petit garçon comme pour la petite fille, c’est l’objet pénien qu’il imagine et qu’il voudrait avoir et qui comblerait le manque à être qu’il éprouve. Cet objet imaginaire qui ferait que – s’il l’avait – il serait l’unique objet de la mère à laquelle il s’identifie le rendrait parfaitement auto-suffisant. Cet objet imaginaire dont la zone génitale est le support, c’est – vous le savez – le Phallus. Il est imaginaire.
C’est sur lui que porte la castration et c’est pourquoi elle est dite, à la suite des travaux de Lacan, castration symbolique.
Ai-je été assez précis pour faire entrevoir alors que la menace de castration (symbolique) est corrélative de la promesse et de la parole en tant qu’elle trouve sa dimension de vérité pour le Sujet au lieu de l’Autre ? La Loi, en tant qu’elle réfère à une promesse et qu’elle est porteuse de la menace de castration, fait dépendre la réalisation du sujet et de son désir, non de l’objet qu’il imagine lui donner, ce statut de puissance qu’il sait ne pas avoir, mais de l’Autre, de celui qu’il sait ne pas être. Son être dépend de ce qu’il ne sait pas, de ce qu’il n’imagine pas, de ce qui l’appelle.
Cette dépendance à ce qu’il ne sait pas est paradoxalement ce qui le libère de ce qu’il sait. Elle le délivre d’avoir à soutenir sans cesse un Savoir d’où lui viendrait l’être. Elle le tire du milieu de ses repères imaginaires qui feraient dépendre l’être du sujet du savoir ou de la possession moïque.
Je dis : paradoxalement, car cette dépendance de l’Autre, qui est obéissance à la parole et non conformité au discours, est toujours éprouvée comme aliénation. Les effets de la parole qui constitue le sujet comme interlocuteur de l’Autre font toujours violence à la prétention du moi, prétention à se prendre pour le sujet au nom de sa puissance imaginaire. Vous reconnaissez là la ligne Maginot de tout ce que Freud a appelé résistances, défenses, refoulements secondaires. Vous reconnaissez là la pertinence de la notation de Lacan qui fait du moi « une instance imaginaire ».
Pour dire les choses de manière encore plus concise, la castration symbolique interdit au Sujet d’être l’interlocuteur du Moi (ce qui d’ailleurs l’identifierait à un Surmoi imaginaire) pour devenir ce qu’il est, par la grâce du langage, interlocuteur de l’Autre.
Pour ceux qui voudraient des repères théoriques plus précis, je les renvoie au stade du miroir et à sa résolution dans « l’assomption jubilatrice du sujet ».
C’est donc en tant que la castration symbolique est le versant d’un acte dont l’autre versant est promesse sur laquelle on peut compter pour s’en tirer, qu’elle nous donne, comme le dit Eric Weil, le courage de la peur. Cette peur de ne pas être aussi bien pourvus que nous avons tendance à l’imaginer pour nous en tirer tout seuls. Le courage, alors, c’est la peur de la violence des pulsions quand cette violence se trouve affectée par le désir de l’Autre, codée par les signifiants du langage qui représentent le sujet dans la logique pulsionnelle. Ils le représentent mais aucun ne peut l’être.
La castration symbolique préside à la chute de l’objet qui, en tant qu’il chute, retire au moi ses assises imaginaires et, le temps d’un soupir ou d’une respiration, devient « cause du désir ».
En ai-je assez dit pour que nous saisissions maintenant que « regarder en face la violence », comme Eric Weil nous recommande de le faire, ce ne peut pas être adopter une attitude de force ou de défi par rapport à nos pulsions et à notre imaginaire ? Cette attitude entraînerait la répression et les désastres que l’on sait.
« Regarder en face la violence », ça ne peut être qu’avoir ou que voir un visage sur lequel viennent s’inscrire les effets des pulsions devenus signifiants du sujet. Nous ne pouvons « regarder en face » qu’un visage, là où les effets de vie ou de mort, de séduction ou de répulsion se donnent à déchiffrer dans la parole.
Regarder en face quelqu’un, regarder son visage – au sens fort -, cela implique ce qu’Eric Weil appelle « le désintéressement du regard ». Ce silence du regard ne peut s’entendre que d’un regard qui ne cherche pas à se satisfaire. Le regard silencieux est un regard qui n’est pas curieux de voir, qui ne juge pas, qui ne coupe ni ne pénètre. Seul, celui dont la pulsion scopique est castrée, dont l’activité de voir est référée à ce qui parle en lui de l’Autre dont la manifestation est toujours imprévisible, seul celui dont le regard cesse de ne se soutenir que de ce qu’il voit, de son objet, seul celui-là accède au silence du regard, au silence qui autorise le face à face c’est-à-dire la constitution ou l’apparition d’un visage en tant que manifestation d’un corps illuminé par la parole.
En termes moins barbares que ceux des psychanalystes, Eric Weil nous l’a dit : « le langage est bon, le langage est vraiment humain parce qu’il permet à l’homme d’arriver au silence du regard, au désintéressement ».
Si ce que nous avons dit jusqu’ici est pertinent, l’on peut dire alors que la castration symbolique, qui délivre le regard de son objet imaginaire, l’ordonne à la révélation d’une présence encore ignorée, à la réalisation d’une promesse. Le regard silencieux est le signe visible d’une oreille qui écoute que ça parle du Sujet en lui, au lieu de l’Autre. Un tel regard n’a rien à voir avec la maîtrise de la connaissance et du savoir, fut-il scientifique. Il est à l’opposé d’un regard méprisant qui se nourrit de la méprise, qui ne voit que ce qu’elle veut voir.
Il faut aller plus loin : le regard silencieux est le seul qui peut supporter, dans le transfert, d’être vécu par l’analysant comme un regard méprisant. C’est qu’il devient le lieu de projection du regard surmoïque que l’analysant porte sur lui-même.
Que peut signifier alors : « regarder la violence en face ? s’il est vrai que seul « le visage », c’est-à-dire la « face illuminée par la parole » peut se regarder en face ?
Cela signifie : « regarder en face un visage défiguré » est justement insoutenable, voire impossible. Et la défiguration du visage, la pire qui soit, n’est pas celle qui est consécutive aux accidents, au sang et aux cicatrices, ni même celle qui est consécutive à la fixité de la mort, c’est plutôt celle de la psychose : le paradoxe d’un visage humain qui ne figure pas le sujet pour un Autre, déserté par la parole, sans voix.
Un visage non illuminé par la parole oblige à détourner le regard : il ne peut être regardé en face, car il ne fait pas face. Il ne fait pas face, il fait violence.
Et il faut se faire violence, comme l’on dit, pour y revenir.
Il faut se faire violence pour ne pas lui faire violence, pour ne pas le faire disparaître comme objet inadéquat ou l’entraîner dans la ronde infernale et multiple de la manipulation prise pour de l’éducation.
Il faut se faire violence pour regarder un psychotique, car son regard ne soutient pas le nôtre. Il ne se dérobe même pas, car la dérobade du regard est encore objet de regard. Il laisse notre pulsion scopique sans objet, sans support. Il est un pur voir sans re-gard. Ce pur voir, cette pure pulsion d’un regard vide est la violence même de la pulsion qui fait disparaître son objet dans la mesure où elle s’en satisfait, dans le mesure où l’objet ne la code pas aussi de la dimension irréductible de l’altérité.
Toute pulsion non référée au langage réduit l’Autre à rien dans la mesure où son objet ne le signifie pas.
À des degrés moindres que dans la psychose, cette réduction de l’autre à un pur objet pulsionnel, cette négation du sujet se donnent à lire dans les phénomènes de la délinquance, du meurtre, du viol, comme dans les multiples ruses de nos névroses. Il serait bien trop long d’en développer ici les différents aspects.
Mais alors, s’il faut se faire violence pour « regarder en face » la violence, quelle est l’instance qui peut soutenir cette obligation de se faire violence devant la violence qui nous est faite ?
Ce ne peut pas être au « nom » d’une autre pulsion, d’une pulsion contraire sous peine d’être conduits, sans trop de délai, à l’exaspération sado-masochiste de la pulsion intéressée, et cela indéfiniment : plus un enfant refuse ses matières et les retient pour satisfaire sa pulsion anale de rétention, plus la mère va les vouloir et lui trafiquer l’anus et le tube digestif… jusqu’au moment où, exaspérée, la mère va envoyer chier son gosse (comme on dit) et que la débâcle intestinale dudit gosse va s’en suivre. Vous entrevoyez que la violence de la rétention anale maintient la mère aux aguets du trou de l’anus et n’a pour fonction imaginaire que celle de la pulsion. Elle y répond par la violence de la pulsion anale dans son versant antagoniste, celui de l’expulsion qui la satisfait jusqu’à la prochaine fois. Elle a tellement besoin de voir l’étron que l’enfant s’y trouve réduit.
Ce qui caractérise le jeu de ces violences pulsionnelles, toutes structurées sur le mode sado-masochiste, c’est qu’au bout du compte on ne sait jamais qui a commencé ! C’est automatique.
C’est automatique, cela veut dire que le sujet n’y est nulle part représenté dans sa référence à l’Autre du langage et que tout le processus, tout le procès du désir est rabattu sur une obéissance à la violence aveugle d’une pulsion.
Quand la direction du désir n’est plus indiquée par ce qui l’oriente originellement et antérieurement au surgissement du sujet, quand la direction du désir n’est plus indiquée par la Loi, le sujet se trouve englué dans l’opposition de deux discours contraires, dans l’ambivalence du discours de la pulsion qui le rabat sur la sensation organique. Paradoxalement, la sensation devient le seul repère du sujet qui cherche appui sur son insistance et son indéfinie répétition. Et plus il s’y appuie, plus il s’y perd comme en un marécage. Plus il s’y appuie, plus il est confondu avec elle, avec ses signifiants imaginaires. Lacan dirait : moins il est barré par le trait unaire, plus il échappe à la représentation par les signifiants qui lui permettrait d’ex-sister. Au lieu d’être promu dans l’ex-sistence, il est confondu dans l’in-sistence.
Lorsqu’il en est ainsi, la violence est majeure.
Elle naît et renaît de la certitude inconsciente que rien de bon ne peut advenir de l’Autre, qu’il est impossible de rien lui demander, puisque lui demander quelque chose serait le reconnaître comme le lieu d’une promesse et que cela est impossible puisque, moi, je ne reconnais la médiation d’aucune loi. La certitude que rien de bon ne peut venir de l’Autre du langage, c’est équivalemment le règne de la méfiance qui veut qu’on ne peut faire foi à aucune parole. La certitude que rien de bon ne peut venir de l’Autre (constamment confondu avec l’autre), c’est, pour reprendre les termes du début, que je ne suis le lieu d’aucune béné-diction, d’aucun bien-dire : tout ce qui m’atteint me fait mal, toute diction qui ne vient pas de moi me déchire et me fait mal.
Le violent est celui qui tente d’échapper à toute déchirure, car être déchiré, brisé, c’est s’en remettre à la parole d’un Autre qui témoigne du Sujet (de nous-mêmes), alors que nous ne pouvons plus produire l’image de nous-mêmes sur laquelle nous nous appuyons.
Dès que l’on touche à l’imaginaire du violent, c’est comme si on le mettait en cause jusque dans son origine puisque, pour lui, l’image de lui-même, seule, fonde son existence : il est dans la nécessité épuisante d’avoir à se produire lui-même, à s’autoposer dans une constante provocation par rapport à tout ce qui n’est pas lui. De la parole, pour lui, ne peut venir que la mort… puisque, pour lui, la parole qui tranche, brise l’imaginaire, le « tue » car il est identifié à son image.
On pourrait dire que le violent est un être en état constant de défense de sa propre image contre le risque que ferait courir à cette image le surgissement de lui comme sujet parlant. C’est pourquoi il est dans l’essence même de la violence de paraître.
Il faut aller plus loin et dire que tout paraître qui n’est pas ordonné à sa propre disparition dans la révélation de ce qu’il cache, l’être, est nécessairement de l’ordre de la violence qui nie l’Autre en faisant disparaître l’être du sujet dans le paraître de sa représentation, dans le moi. En d’autres termes, la violence fait disparaître l’être du langage ou l’appel à être du langage… dans le paraître du discours ou la pure logique.
On peut dire alors que tout pouvoir, même légitime, qui n’est pas ordonné à la réalisation de la promesse que cache et médiatise la loi, est violence et ne cherche qu’à produire l’image de lui-même sous prétexte de loi.
Ce pouvoir que l’analyste reçoit de l’analysant (légitime) n’est légitime, vous le voyez, que s’il est ordonné à la révélation de la promesse que cache encore et que médiatise déjà le discours qui fait loi dans la cure : promesse de devenir ce que l’être du langage l’appelle à être, dès avant et par delà toutes les apparences : sujet du désir de l’Autre.
« Pomme, poire, cerise, abricot,
y en a un, y en a une…
Pomme, poire, cerise, abricot. »
Nous n’aurons jamais que le visage, que la voix qui parle en nous nous reconnaît quand elle nous appelle par notre nom et ne cesse de demander : « Où demeures-tu toi qui parles ? ». Dans la parole ou dans ton image ?
Denis VASSE, le 25 janvier 1978
1 SAINT JOHN PERSE, Chant pour un équinoxe, Gallimard, 1975, p 14
2 D. VASSE, L’ombilic et la voix, Seuil, p 185
3 J. LACAN, Ecrits, Kant avec Sade, p 776, Seuil, 1966
4 Conférence de clôture des journées d’études de LILLE, 1977
5 Ibid.
6 HEGEL, Phénoménologie de l’Esprit, p 59.
7 Ibid, p17.
8 La voix vient de celui qui parle dans ce qui parle.
9 M. HEIDEGER, Essais et conférences, l’homme habite en poète, Gallimard, Paris, 1958, p 227.
10 D. VASSE, L’ombilic et la voix, p 185.
11 Qu’il soit institué comme sujet dans le langage avant même de le savoir au titre de la logique dans laquelle il est enfermé, l’analysant le dit toujours en faisant du psychanalyste le responsable de cette logique, le sujet supposé savoir, ce que lui l’analysant ne sait pas. C’est même l’asymétrie de cette « relation » qui indique la véritable entrée de l’analysant en analyse.
Cette projection indique nécessairement quelque chose de la division du sujet et l’écart où il est déjà par rapport à la logique du discours qu’il tient, écart qui le situe dans le langage et hors logique.
12 « Ça me fait chier ».
13 Patrice de LA TOUR DU PIN, Psaumes de tous mes temps, Ps 35, Gallimard, 1974, p 55.
14 Seghers, Paris, 1975.
15 Eric WEIL, Logique de la philosophie, Paris, Vrin, 1950
16 Eric WEIL, Logique de la philosophie, Paris, Vrin, 1950, p 21.