« L'homme peut refuser, plus ou moins consciemment, de consentir au désir qui l'habite.
Dans ce cas, il est comme un aveugle-né. Il est empêché d'interpréter les signes. »

Articles - Le travail scolaire

in « Pédagogie » , 21° année, Centre d’Études Pédagogiques, 15 Louis David, 75016 Paris

« Du rapport de force à la création d’un espace »

Contrairement à ce qu’il apparaît d’abord, le travail scolaire est bien loin de n’être que l’affaire de l’élève. Il est, certes, une activité individuelle, mais nous verrons que s’y imbriquent des intérêts divers qui en font un fait social. C’est à l’analyse de ce nœud de préoccupations dont le travail scolaire est le siège que nous devrons de découvrir le désir de l’enfant : le désir d’être et de connaître qui, par son développement, va lui ménager un espace. Le nœud de préoccupations des adultes a pour fonction de ménager l’espace nécessaire où une nouvelle préoccupation, celle de l’enfant, va prendre place pour ce nouer aux autres. On voit déjà – à filer la comparaison – que le nœud peut être gordien et mener à l’étouffement, ou qu’inversement, il peut s’agir d’un nœud routier, merveilleux échangeur de circulation.

Le travail scolaire, en effet, est le lieu de multiples préoccupations : préoccupation des parents, préoccupation des professeurs, préoccupation de la société tout entière par le biais de l’État qui en est responsable. L’État exerce cette responsabilité en confiant l’enseignement à un corps constitué (qu’il soit confessionnel ou non) et de ce corps, vous êtes ici les représentants.

À ce réseau de préoccupations, et pour être complet, ajoutons – bien qu’elle n’apparaisse pas toujours – la préoccupation de l’élève.

S’il en est ainsi, si ce travail préoccupe tant de monde, s’il est l’objet de tant de soucis, de programmes, de réformes et d’institutions, c’est qu’il revêt une importance majeure. Mais pour qui ? Et pourquoi ? Quelle est la partie qui se joue et comment se joue-t-elle ?

Tant que « l’obligation de travailler à l’école » ne faisait de doute pour personne, le travail scolaire était une sorte de fait premier, d’évidence de base qui motivait tout le reste. À cause de l’évolution de notre société, à cause de la poussée démographique et pour une série d’autres raisons qui nous font, comme on dit, progresser vers une « civilisation des loisirs »… il n’est plus tellement évident qu’il faille travailler à l’école. Voilà que ce qui, jadis, nous apparaissait univoque, d’une évidence allant jusqu’à l’obligation… manifeste aujourd’hui une ambiguïté cachée.

Les réflexions qui suivent voudraient faire entrevoir l’ambiguïté du « travail scolaire », non pas ambiguïté au sens moral et peccamineux du terme, mais ambiguïté au sens où le travail scolaire, comme toute activité humaine, est de soi ambigu. Il peut revêtir pour le sujet qui la vit plusieurs sens.

Ainsi donc, le travail scolaire, cette occupation qui va de soi (« il faut travailler à l’école ») puisque tout le monde s’y intéresse (papa, maman, le maître et Monsieur le Maire), est susceptible de se révéler comme chargé de plusieurs sens possibles pour peu que, délaissant le royaume de l’évidence et de la préoccupation qui nous donne bonne conscience, nous tentions de saisir le mécanisme intime d’un tel processus.

Il est nécessaire que ce travail de l’enfant soit suscité par le désir des adultes, parents ou maîtres. C’est parce qu’on le lui demande qu’un enfant travail ou, comme on dit, « fait effort ». Dans une certaine mesure, il doit satisfaire à cette demande pour ne pas perdre sa « place » auprès du demandeur. À cette sollicitation, l’enfant peut répondre positivement ou négativement. Il est à remarquer, ici, que l’enfant qui travaille mal est souvent considéré comme « ne répondant pas » à la demande qui lui est faite, alors qu’en réalité, il y répond, mais la signification de sa réponse n’est pas comprise. Elle est, le plus souvent dans ce cas, radicalement méconnu et niée[1]. Dès lors, tout se complique[2]. Pourquoi y en a-t-il qui « marchent » et d’autres qui « ne marchent pas » ? Les parents et les maîtres sont déconcertés et ils ne supportent guère de l’être. « Pourtant avouent-ils ingénument, c’est la même éducation ou le même enseignement que nous leur donnons et comment se fait-il… » Il se fait, parents et maîtres, que votre attitude et vos préoccupations peuvent avoir pour vos enfants ou vos élèves une autre signification que celle que vous voulez consciemment lui donner. Une autre signification pour l’enfant, oui. Une autre signification pour vous aussi. Cette ambiguïté, gordienne si elle est méconnue, est reconnue, la condition sine qua non de la communication, celle de l’amour comme celle du savoir. Elle permet, à l’intérieur d’une même relation, la constante différenciation des être mis en présence.

Si l’enfant satisfait à la demande des parents, c’est pour ne pas perdre leur amour. S’il consent à quitter la maison pour l’école (cf. la grande résonance affective de l’expression « aller à l’école »), s’il accepte la discipline scolaire et l’autorité du maître, ce ne peut être que pour ne pas contrarier la volonté des parents. Idéalement du moins, ceux-ci reconnaissent comme leur expression, la discipline de l’école et l’autorité du maître. Dès lors, l’enfant devient élève.

Il satisfait aux désirs de ses parents, en satisfaisant au désir du maître : s’il apprend, et si, apprenant, il « sait », non seulement il ne perdra pas la sécurité de l’amour parental, mais encore il gagnera l’estime du maître. Il fait d’une pierre deux coups. Dans cette situation, il résulte qu’au départ l’exigence de l’amour et celle du savoir sont confondues. La nécessité de l’une va permettre la possibilité de l’autre. Point n’est besoin d’avoir une grande expérience pour percevoir que, souvent, les premiers contacts de l’enfant avec le maître rééditent la relation exclusive ou libérante que l’enfant entretient avec ses parents.

Cette analyse schématique et, donc, idéalement fausse, a le mérite de laisser voir qu’en plus d’une passe de cette partie jouée, qu’en plus d’un carrefour de ce réseau, les cartes ou les pistes peuvent être brouillées.

La connivence imaginaire des adultes et la puissance réelle de l’enfant

Qu’il soit ainsi inconsciemment et vitalement lié aux désirs de ses parents[3] et, par procuration, à celui de ses éducateurs, l’enfant, d’une certaine manière, le sait mieux que quiconque. Non d’un savoir conceptuel, mais d’un savoir qui ne se différencie pas encore de sa vie, de sa propre existence. Apprendre ce qu’enseigne le maître est pour lui la même chose que demeurer objet d’amour des parents. Le désir de savoir est encore confondu avec le désir d’être aimé.

Cette confusion, l’enfant la repère et la ressent inconsciemment très tôt. Mais il pressent qu’à acquérir un savoir il va devenir responsable de l’immédiate préoccupation d’amour dont il est l’objet. Pour éviter de se différencier des parents dont il est – au sens strict – la préoccupation, il aura tendance à ne pas acquérir un savoir qui, peu ou prou, vise à le distinguer ou à le séparer de ceux qu’il aime et qu’il ne veut pas quitter. Pour garder le privilège d’être un objet d’amour, il aura tendance à refuser la possibilité de devenir « sujet d’un savoir ». Ce « blocage » comme disent les parents va se traduire par une inhibition intellectuelle plus ou moins accentuée et par une indiscipline inexpliquée. L’une et l’autre seront mises sur le compte du « tempérament », ce grand responsable et ce grand inconnu qui soulage la conscience de tous.

Assez rapidement, en effet, l’enfant saura – de se savoir inconscient et vital dont il était question tout à l’heure et qui conserve l’amour – l’enfant saura jouer avec efficacité sur la gamme des préoccupations dont il est entouré. Il évitera de prendre en charge son propre savoir comme sa propre vie pour s’aliéner, par son existence et par son savoir, dans l’existence et le savoir d’autrui. Refusant l’exigence de sa propre vie d’enfant, il continuera de se « blottir » dans les prétendues exigences d’adultes. Qu’il le fasse, encore une fois, sur le mode de la complicité sans histoire ou sur celui de la mise en échec tapageuse, il détient, dans son travail, un moyen puissant de satisfaire parents et maîtres ou de les irriter. Mieux que personne, il saura se servir de cet instrument précieux qui intéresse et inquiète tant de monde et dont il est, en définitive, le seul maître. Peu importe qu’il s’y révèle comme sujet, pourvu qu’il « donne satisfaction » et garde ainsi son privilège d’objet. On voit, dès lors, que le travail scolaire, loin de remplir son rôle de révélateur d’un sujet, est employé à satisfaire les inconscients besoins des parents et des maîtres.

Ainsi, par le plaisir ou le déplaisir qu’il procure, l’enfant obtient une double réassurance : il vérifie qu’il a toujours besoin de ses parents et que ses parents ont toujours besoin de lui. On ne se sépare pas de ce dont on a besoin. Au niveau du besoin, toute séparation est vécue comme une rupture définitive. Ou l’on a besoin de quelque chose ou de quelqu’un. Ou l’on n’en a pas besoin… et c’est l’indifférence.

Le besoin instaure entre celui qui a besoin et celui dont on a besoin une connivence trompeuse : toujours celui qui a besoin de l’autre et qui « s’en sert » s’imagine être le plus fort et le plus libre alors qu’en fait, sa force réside tout entière dans celui-là même dont il a besoin.

Pour que cette relation duelle soit rompue et que chacun puisse exister pour lui-même et non plus, pour l’autre, il faut que le besoin, renonçant à la satisfaction ou la dépassant, devienne désir. On ne meurt pas, en effet, de ne pas satisfaire un désir. Le désir n’assimile pas son objet comme le besoin, mais vise son objet en tant qu’il est différent et que cette différence demeure au-delà de la satisfaction, dans l’insatisfaction même.

Le travail scolaire et le besoin des parents

Lorsque la préoccupation des parents est de l’ordre du besoin, c’est-à-dire de leur propre satisfaction à travers l’enfant et son travail[4], que peut-il se passer ?

–      ou l’enfant satisfait au besoin parental en y répondant et nous avons vu que réussir ou échouer pouvaient être interprétés comme une « réponse » ;

–      ou l’enfant ne satisfait pas au besoin parental et le lien entre enfant et adulte s’épuise de n’être pas alimenté.

. Dans le premier cas, pour ne pas perdre sa place d’objet aimé, l’effort de l’enfant va consister à faire plaisir à ses parents en « travaillant bien » ou au contraire, à manifester des difficultés en tous genres pour démontrer qu’il a encore besoin de l’aide de ceux à l’amour desquels il tient tant. Le besoin d’être aidé traduit le besoin d’être aimé. Il « répond » au besoin d’aider, c’est-à-dire de faire quelque chose pour se prouver qu’on aime…

Dès lors, engagé dans une sorte de cercle vicieux, au lieu d’être l’effort nécessairement douloureux de l’édification de soi payé de la gratifiante reconnaissance par autrui, le travail scolaire devient pour tous la perpétuelle satisfaction d’un besoin trompeur d’où rien ne sort. Le travail devient (ce qu’il est d’ailleurs pour la plupart des adultes…) le moyen de plus en plus exigeant de satisfaire quelqu’un d’autre, et de ce plaisir ou de ce déplaisir de plus en plus intense il fait sa propre fin. Le travail devient à lui-même sa propre fin et, ce faisant, il ne désigne plus celui-là même qui lui donne son sens, son auteur ou son destinataire. Oh, merveille ! Et l’on retrouvera d’ailleurs ce mécanisme dans les Sociétés d’adultes : la discipline pour la discipline à l’armée ; l’obéissance ou la chasteté pour l’obéissance ou la chasteté dans les règles religieuses. Le besoin et son cycle intermittent de satisfaction poussent à un mouvement de destruction bien compréhensible après tout : le besoin, nous le savons tous, ne se satisfait qu’en disparaissant.

Ce processus de gloutonnerie ou de faux ascétisme que j’articule avec la satisfaction du besoin, j’en vois une illustration parlante devant ces parents qui poussent l’enfant obtenant des résultats brillants en classe pour qu’il en obtienne de plus brillants encore. Il n’est question, autour de lui, que de contrôler son travail, de lui faire faire des devoirs à la maison (même en vacances, croyez-moi, cela existe et des maîtres y poussent…) ou de lui donner des leçons particulières.

Ainsi, classés dans la catégorie des bons ou des mauvais élèves – celle qui lui assure le maximum de préoccupation de la part des parents – les enfants peuvent éviter sans cesse et sans crainte l’expression d’eux-mêmes que devrait révéler aux autres leur propre travail. Caricatures fidèles du besoin impulsif de leurs parents, ils les flattent ou les blessent avec un rare bonheur selon qu’eux-mêmes, les parents, ont constamment besoin d’être loués… ou punis… Installés par la tranquillité ou la révolte dans ce berceau ambigu de récompenses ou de punitions, bien malin qui viendra les en déloger, puisque, au sens strict mais très inconsciemment la plupart du temps, c’est là que leurs parents ont besoin qu’il soit.

. Dans le second cas, celui où l’enfant ne satisfait pas, par son travail, au besoin parental, on assiste à un désinvestissement de l’enfant par les parents et des parents par l’enfant. Prenez désinvestissement au sens strict c’est-à-dire que ce terme désigne le fait de cesser de s’intéresser à une affaire qui ne marche pas. Le banquier en retire les fonds qu’il y avait engagés pour les investir ailleurs.

Ces situations, dite de rejet, ne sont pas peu fréquentes. Elles se cachent souvent derrière le tapage des grands sentiments ou la prétention d’un certain réalisme. Arrêtons-nous à une seule illustration : celle qui met en scène un enfant qui « ne travaille pas bien à l’école » et dont la sœur est, comme on se plaît à le dire, un « sujet brillant ». Généralement, après avoir tenté – et y avoir réussi d’ailleurs – de mettre les deux enfants sur un plan de comparaison pour stimuler le plus rebelle (« regarde ta sœur, elle travaille, elle… et en plus elle m’aide, etc. »), les parents, résignés, « acceptent » comme ils disent, que « le plus jeune ne soit pas doué pour les études ». En fait, ils le laissent choir puisqu’ailleurs, tout de même, ils « obtiennent (comme ils disent encore) satisfaction ». Bien mieux, l’affaire qui ne marche pas vient là aux yeux de tous et de chacun, faire ressortir celle qui marche. Mais pourquoi voudrait-on qu’ainsi coincé, l’enfant en « sorte »… puisque c’est son rôle. C’est qu’en rigueur de terme, on ne le « veut » pas, on ne le voit même pas tel qu’il est, mais en constante référence à un modèle, qu’il soit réellement existant ou imaginaire, idéal. Un père – instituteur de surcroît – et qui, à travers le traitement de son fils, avait pris conscience du mécanisme dont je parle, intrigué de ce que mon regard sur son enfant persistait à n’être pas le sien, en est venu, un jour, à me confier que « depuis que Didier était en psychothérapie, il voyait son enfant ». Il en était émerveillé. A la même époque, comme Didier avait dessiné une famille, constituée du père, de la mère et d’un enfant et que je lui faisais remarquer (apportant à l’appui d’autres dessins qu’il m’avait antérieurement fournis) que les hommes n’avaient « ni yeux, ni oreilles, ni bouche », il me fit cette réponse : « oh ! C’est qu’ils sont vus de haut ! » Les deux découvertes allaient de pair : l’enfant savait, de sciences sûre mais inconsciente, que son père ne le « voyait » pas.

Le jeu de connivence que je voulais souligner dans l’analyse qui précède revient à ne pas pouvoir ou vouloir accepter qu’une action ou une parole ait plusieurs significations. Paroles ou actions n’ont que le sens que je veux leur donner, les autres sont soient sous-entendus (dans la connivence hypocrite et consciente), soit non entendus (comme dans la connivence inconsciente qui nous occupe). Le sens que donnent les adultes aux activités de l’enfant est forcément le seul qu’ils « entendent » faire valoir, chargé qu’il est de toute leur autorité et de leur bonne conscience… et, c’est souvent, au moment où ils sont le plus aveugle et le plus sourd aux désirs naissants de l’enfant, qu’ils déclarent péremptoirement de lui : « il ne veut rien entendre »… Et il se peut que l’enfant trouve, à son tour, une certaine jouissance à se cacher derrière la signification qu’on donne à son comportement. Ce faisant il se défie et des autres et de lui-même. Chacun sait que faire plaisir ou mettre en colère est une excellente manière d’échapper à la rencontre de quelqu’un qui – pour être vraie – exige la révélation des deux personnes en présence. Procurer du plaisir ou procurer de la peine est une façon de renvoyer l’interlocuteur à lui-même en lui interdisant l’accès à notre propre moi. Nous en avons tous fait l’expérience, et à ce jeu, l’enfant joue mieux que nous. S’identifiant au travail qu’on attend de lui, il devient objet de plaisir ou de déplaisir pour un autre que lui.

Le travail scolaire et le besoin des maîtres

Pareillement et pour les mêmes raisons (nous avons vu combien le désir des parents et celui des maîtres était, pour l’enfant, imbriqués), s’identifiant aux résultats ou aux connaissances que l’on attend de lui, l’enfant va s’employer à justifier le savoir du maître. Qu’il s’en fasse le champion dans sa réussite scolaire ou qu’il le conteste dans une conduite répétée d’échec. En cotant le travail de l’élève, la note indique le succès ou l’échec du maître. Ne dit-on pas, après les résultats du baccalauréat, que tel professeur « a réussi » et que tel autre a « échoué » selon que leurs élèves respectifs réussissent ou échouent ? Dans cette perspective, l’enseignement devient aussi à lui-même sa propre fin. On a besoin d’enseigner comme, tout à l’heure, on avait besoin d’aimer ou d’aider, non pas pour que le savoir devienne un certain mode d’ouverture à l’autre et au monde, mais pour que le savoir justifie une présence à la révélation de laquelle il est le plus grand obstacle. Le maître, jaloux de ce savoir qui le rassure, ne peut s’en détacher pour qu’il devienne savoir de quelqu’un d’autre, expression d’une autre vérité et d’une autre présence que la sienne.

En cet endroit de notre cheminement, s’inscrivent différents problèmes sur lesquels vous avez plus que moi réfléchi : celui du système de cotation ou d’appréciation (le problème de la note évoquée plus haut), celui des programmes, celui du surnombre, celui de la formation des maîtres.

Évoquons rapidement le problème de la note. La note, en cachant d’une part l’orgueil ou la rage du maître et, d’autre part, l’approbation ou la désapprobation des parents, revêt, pour ainsi dire, les caractéristiques d’un dialogue secret entre adultes, dialogues chiffrés étrangers à l’aspect qualitatif du travail qui lui a donné naissance et plus encore à son auteur dont la première réaction sera de comparer sa note à celle du voisin. Ce qui me frappe, par exemple, c’est le peu d’intérêt porté au contenu et à l’élaboration d’une rédaction, alors que cette même rédaction corrigée par le maître devient occasion de gloire ou de mépris. Là aussi, la connivence des adultes implique que ne soit pas entendu celui qui parle, l’enfant. Ignorant le véritable « sujet de la parole », parents et maîtres se congratulent ou s’exècrent – sans jamais s’être rencontrés – à propos du même « objet » devenu le lieu de leur félicité ou de leur aigreur communes.

–       Je suis le père de Xavier, dit l’un.

–       Je suis le maître de Xavier, répond l’autre.

Mais Xavier, qui est-il ? si ce n’est celui qui se déserte parce que la place qu’il occupe est constamment occupée par autrui et que tout le monde y trouve à bon compte sa satisfaction.

Le travail scolaire et la création d’un espace

Le travail scolaire change radicalement de sens s’il est ordonné, au travers des préoccupations adultes et par elles, à l’éclosion et à la croissance du désir de l’enfant. S’il ne peut pas être le lieu du dialogue exclusif des adultes, c’est justement parce qu’il n’est pas conforme à la vérité du travail ou de la parole d’en exclure son auteur, sauf à réduire toute relation à un rapport de force où les plus grands et les plus forts ont toujours raison contre les plus petits et les plus faibles. Reconnaissons là, en passant, la philosophie, avouée ou non, de bien des adultes. Le travail scolaire est bien le lieu d’un dialogue, mais d’un dialogue entre l’enfant et le monde imaginaire dans lequel il vit, et les adultes qui lui indiquent le monde réel dans lequel il lui faudra pénétrer. Ce passage d’un ordre imaginaire à un ordre réel se fait par une activité symbolique qui sous-tend toute connaissance humaine. Cette activité exige que soit possible et reconnue la pluralité de sens de la parole et de l’action de l’homme, et que ne soit jamais perdue de vue l’ambiguïté dont nous parlions au début.

Un exemple nous servira de transition, qui voudrait nous faire entrevoir que du rapport de forces peut naître la création d’un espace, nécessaire à la réalisation d’un nouvel être de désir.

François est un garçon de 11 ans. Sa politesse timide et le soin des vêtements manifeste d’emblée un certain degré d’inhibition. Il est « gentil », comme on dit. Son inhibition s’étend d’ailleurs au domaine intellectuel, et, s’il m’est adressé, c’est qu’il présente des difficultés en lecture et, surtout, en orthographe. Son QI est normal.

Ses parents, très préoccupés par l’entreprise familiale qui a subi des revers il y a une dizaine d’années (naissance de François) et qui se redresse péniblement, sont d’autant plus « préoccupés » par cet enfant qu’ils se sentent plus ou moins coupables de n’avoir pas eux-mêmes prit soin de lui dans les premières années. Je ne l’apprendrai que plus tard, c’est une jeune fille, Annie, qui a élevé François. Par ailleurs, les deux sœurs aînées marchent bien, surtout la première dont le père est particulièrement fier. Au cours de l’unique entretien que j’ai pu avoir avec le père, le nom de cette grande et brillante fille reviendra sans cesse, plus beau fleuron d’une couronne paternelle qui subit à travers le comportement du fils quelque dommage.

Lors des premières séances, François se comporte comme quelqu’un qui a peur d’être jugé. À ce point il préfère ne rien dire, ne rien faire, ne rien écrire et ne rien dessiner… à moins qu’il n’y soit pressé, ce qu’évidemment je me garde de faire. Il argue même qu’il ne peut utiliser les jouets ou les crayons qui sont là car « ils ne sont pas à lui ».

Après quelque temps, son comportement varie légèrement : il se met à dessiner de manière stéréotypée ou conventionnelle, puis, tout de suite après, il efface ou crayonne ses dessins, les barre avant de plier la feuille jusqu’à la réduire à sa plus simple expression et la faire disparaître.

Un jour, je lui demande pourquoi, à son avis, il vient me voir : « si je viens ici, me répond-il, c’est pour que vous voyez si je suis intelligent… »

Un autre jour, alors qu’il me demandait de lui poser des questions et que je lui suggère de me dire simplement ce qu’il a dans le cœur, il rétorque : « mais je n’ai que des choses gentilles dans le cœur ! »

Conforme à l’image du « gentil petit garçon » qu’on avait besoin qu’il soit, il niait avec la dernière énergie le trouble qu’entraîne tout mouvement hostile ou agressif. L’agressivité qu’il s’ingénie à cacher derrière son comportement plein de douceur, va montrer l’oreille au premier dessin organisé que François pourra faire : un énorme serpent s’apprête à absorber un lézard qui est lui-même en train de gober une mouche, tandis que d’un bord de la feuille surgit un canon de fusil qui tue le serpent d’une balle.

Le dessin suivant sera une tête de mort.

Qu’on ergote autant que l’on voudra sur les symboles et leur lecture, peu importe et je ne suis pas là pour vous convaincre d’une méthode, mais ce dont je crois pouvoir témoigner, c’est que, chez cet enfant, tout mouvement d’agressivité n’a pas le droit de parvenir à la conscience ou d’être agi dans une action tendant à modifier l’ordre imposé par les adultes. Or, le travail ou l’amour requiert une certaine agressivité, mais l’interdit qui frappe celle-ci s’étend aux actions qu’ordinairement elle sous-tend. Toute expression de soi dans le travail et toute manifestation amoureuse sont ressenties comme coupables dès lors qu’elles avouent autre chose que la satisfaction de ces bons parents qui font tant pour lui : ils rentrent si tard le soir et ils sont si fatigués par leur travail (dont personne ne peut sous-estimer l’importance) que toute revendication affective apparaît déplacée. Ce qui compte, c’est que l’entreprise des parents ne fasse pas faillite… même si c’est au prix de la faillite du garçon ; ce qui importe aussi, c’est qu’il réponde correctement et que, par son savoir, il gratifie ceux qui s’occupent avec tant de complaisance de lui, qui est si « gentil ».

Cela va plus loin. Comme il expérimente que ses échecs sur le plan scolaire lui valent une attention qui lui est refusée par ailleurs et qu’ainsi se trouve renforcée la sécurité d’une dépendance constamment renouvelée, François va bientôt, par ce processus qui prouve à ses parents qu’ils s’en occupent, se trouver littéralement emprisonné sous un carcan de préoccupations multiples :

1. Il va à l’école où il « chougne » souvent et où il ne joue pas avec ses camarades de peur de se casser le bras, ce qu’il a fait il y a deux ans.

2. Il fait ses devoirs à la maison sous la vigilance de la sœur aînée.

3. Il est depuis deux ans en rééducation de lecture avec un rééducateur qui, sans obtenir aucun résultat, s’acharne à vouloir démontrer le bien-fondé de sa méthode. La grande et géniale sœur assiste, d’ailleurs, aux leçons.

4. La maîtresse de François, zélée et connaissant la famille, le garde après la classe pour lui faire travailler l’orthographe.

5. Il prend des leçons d’escrime, art dans lequel sa sœur excelle.

6. Il s’astreint à de longues marches quand il va à la chasse avec son père.

7. Il fait des performances en plongée sous-marine sous la direction d’un moniteur et comme son père.

8. On lui a fait redoubler son année pour assurer ses bases (toujours le zèle de la maîtresse et du rééducateur).

9. Il s’est cassé le bras, il y a deux ans (on lui permet de porter encore un bracelet de cuir qui le manifeste à l’attention de tous) et cet accident est encore un prétexte pour ne pas aller actuellement en colonie de vacances.

10. Enfin, on me le confie… sans doute pour que, m’occupant de tout ce qui échappe encore à la vigilance, je tâche d’en faire définitivement un enfant sans problème.

Je vous laisse le soin de compter les heures pendant lesquelles on contrôle, on mesure, on évalue les activités de l’enfant qui, exécutées sur le modèle de ce que font les autres, concourent toutes à refouler son propre désir : il a peur de découvrir la force qui l’habite.

Je passe sur les méandres de la cure, mais je vous assure qu’il a fallu toute l’autorité médicale et la menace de ne pas poursuivre le traitement pour que soient arrêtées toute leçon particulière et toute rééducation de quelque ordre que ce soit.

Progressivement s’est libéré une certaine agressivité, ressentie comme un outrage par les sœurs et comme ce qui ne fait pas plaisir par les adultes, mais François s’est mis à jouer en récréation et, paradoxe, à faire des progrès en lecture et en orthographe. Celle-ci était si fortement troublée parce qu’était vécu comme très coupable le désir qu’il avait d’écrire à Annie et qu’il tentait de nier. Annie est cette jeune fille dont il avait ardemment désiré être le fils et qui, depuis quelques années, était partie pour se marier et avoir, à son tour, des enfants.

Pour plus d’une raison, voyez-vous, il y a des familles où l’on a le droit de travailler comme tout le monde, mais pas celui de vivre pour soi, c’est-à-dire d’exprimer son désir.

Il est bien sûr que l’intérêt porté au travail de l’enfant par les parents et les maîtres fait le ressort principal de l’intérêt qu’accorde l’enfant à ses propres œuvres. Mais c’est en tant qu’elles renvoient à ce qui n’est jamais dit, parce qu’inexprimable, de leur auteur ou de ceux à qui elles sont destinées que ces œuvres présentent un intérêt. Le travail, en soi, n’est pas et ne peut pas être un but, une fin. Le travail, et le travail scolaire comme les autres, ne peut se soutenir – dans son intérêt même – que s’il indique autre chose ou quelqu’un d’autre que lui-même, en lui-même. À travers la réalisation d’une œuvre, si modeste soit-elle, c’est la possibilité d’un désir d’être qui se manifeste. Le travail scolaire devrait susciter un intérêt moins porté à ce que « fait » l’enfant ou plus exactement à ce qu’on lui fait faire, qu’à ce qu’il « est » et à la manière dont il l’exprime. Une telle orientation suppose que l’intérêt ainsi suscité soit moins celui d’un chef d’entreprise préoccupé de rendement que celui qui éprouve pour quelqu’un quelqu’un d’autre. Dans ce cas, l’intérêt de l’adulte (voire même son savoir ou son autorité) est nécessairement évacué au profit du désir de l’enfant. C’est ce qui constitue l’essence même de l’autorité, écrit le P. Fessard dans Autorité et bien commun, de « vouloir sa propre fin ».

C’est en se libérant de ses productions et de son savoir qui n’est que l’expression d’un désir d’être que l’enfant va se reconnaître comme inaliénable. Il intègre ainsi les connaissances qui lui sont transmises comme expression du désir de ceux qui l’aiment et, en en faisant l’épreuve, il fait la preuve de sa progressive liberté et de sa propre « maîtrise ». Dans le travail scolaire, l’élève ne fait pas qu’absorber le savoir du maître, il l’expérimente comme vrai aussi pour lui. Il le fait sien.

Jusqu’au jour où, se différenciant progressivement de ceux qui la suscitent, sa propre personnalité s’accuse, dans le heurt ou l’affirmation tâtonnante de sa progressive assurance. La fonction de cette assurance est l’expression toujours à reprendre de son être de désir. Elle n’est plus la réassurance répétitive que procure la satisfaction du besoin d’un autre.

Si cette différenciation est la fin du travail scolaire, à quelles conditions est-elle possible ? Est-ce en ajoutant à la liste des préoccupations un titre supplémentaire ?

Certainement pas.

Quelles que soient les structures – dont on parle beaucoup – ces conditions ne sont pas de l’ordre de la méthode ou de la technique. Elles sont d’un autre ordre comme est d’un autre ordre le désir par rapport au savoir. Le savoir du maître ne saurait devenir le savoir de l’élève qu’à condition d’être, pour le maître, l’expression toujours à reprendre et toujours reprise de son propre désir. Les conditions de la transmission du savoir résident dans l’attitude profonde (et souvent inconsciente) du maître vis-à-vis de son propre savoir. Ou il s’y aliène, et son savoir devient comme on dit « sa raison de vivre », où il s’en libère dans la mesure ou il l’exprime comme moyen d’accès à sa vérité d’homme, source désirante d’être et de connaître.

Quoi qu’il en soit, c’est une loi de la création : « Nous les faisons à notre image ».

Si, effrayés d’avoir à nous livrer à travers notre savoir, nous sommes de plus en plus acculés à nous répandre en discours et en activité vides de nous-mêmes, nous risquons de nous répandre en multiplicité alors que les élèves nous demandent, sans le savoir, de nous recueillir, de témoigner de ce que nous sommes par cette référence à ce qui manque toujours à notre savoir… Ce mouvement de recueillement du maître amorce immanquablement le mouvement d’expansion du désir de l’élève. Ce retrait lui permet d’inventorier le domaine du savoir qui le ramènera non moins immanquablement à s’interroger sur ce qui manque à son savoir : son être. À moins qu’à tout jamais, selon leur modèle, ils se répandent et se perdent en un savoir dilapidant leur être.

En mettant à leur disposition son savoir, expression de son désir d’être et de connaître, le maître ne peut, en vérité, ne vouloir qu’une chose : que son savoir devienne le lieu, le matériau, l’espace dans lequel le besoin de l’élève en désir d’être et de connaître, s’accomplisse au-delà de toute satisfaction.

S’il transmet le savoir pour le savoir, le maître tue le désir : le sien et celui de l’élève.

À ce terme de notre analyse, le travail scolaire m’apparaît comme le lieu de la substitution d’un rapport de force entre celui qui sait et celui qui ne sait pas, d’un rapport de différence où chacun des termes se reconnaît au manque qu’il perçoit et qu’il exprime comme le sien à travers un unique savoir. Cette substitution, ce passage ne s’effectuent qu’au prix d’une lutte dans laquelle les antagonistes se reconnaissent finalement à leur place en tentant de prendre celle de l’autre.

Le maître et la hiérarchie

Nous voilà très loin, me direz-vous, de ce qui nous préoccupe, nous, chefs d’établissement.

Pourtant, à parler du maître dans son rapport à l’élève, nous ne sommes éloignés qu’en apparence de votre problème. Force nous est, en effet, de nous demander aussi d’où le maître lui-même tient sa maîtrise. De la place qu’il occupe dans un corps professoral, dans une hiérarchie ou une institution. De là, découle le rôle qu’il a dans un établissement dont vous êtes les chefs.

En partant du travail scolaire, nous avons redécouvert par le dedans, comme par critique interne, comment s’articulaient les éléments d’une structure – l’institution ou l’établissement – trop souvent posée arbitrairement comme première et exclusive, seul principe du travail demandé à l’écolier. Pour qu’elle ne perde pas sa consistance, une telle structure doit ménager, non par accident, mais par essence, l’espace nécessaire à la reconnaissance des désirs qui la sous-tendent.

Autrement dit, et en fin de compte, la question qui se pose est celle-ci : le chef d’établissement qui incarne et représente la nécessaire organisation du savoir et de la discipline, tient-il compte de l’autre pôle qui structure sa maison : la naissance et le développement d’un nouveau désir, celui de l’élève, qu’il ne peut percevoir que s’il se réfère à son propre désir d’être et de connaître ?

À travers la répartition et l’organisation du savoir, son inspection, le recyclage auquel il est soumis (j’allais écrire le calibrage), le travail scolaire reste, dans son rapport au désir de l’élève, la fin de l’institution, et, pourtant, le chef de l’institution ne saurait en tant que tel y être directement impliqué.

Pour qu’il perçoive la fin bipolaire du travail et du désir de l’élève, fin qui est la raison même de sa maison, le chef d’établissement se doit de parcourir le chemin qui nous a menés jusqu’à lui (jusqu’à son travail d’organisation articulé à son propre désir de chef), mais exactement en sens inverse : lui-même est impliqué, en effet, dans la libération du désir d’être et de connaître de l’élève, mais par la médiation de la libération du désir d’être et de reconnaître du maître : libération de son savoir qu’il va pouvoir dispenser comme expression de sa propre volonté, non pas à cause de l’obligation qu’un autre lui en fait.

À éclairer ainsi notre lanterne, il apparaît, en effet, qu’il existe dans les rapports dits « hiérarchiques » (de quelque nature qu’ils soient) quelque chose comme un rapport de force, un rapport du plus petit au plus grand, de celui qui a moins d’autorité à celui qui en a « davantage ». Il me semble que dans la relation des maîtres aux chefs d’établissement, il se passe quelque chose d’analogue à ce que nous avons découvert dans le rapport des élèves au maître. Le savoir était l’enjeu de celui-ci, l’autorité est l’enjeu de celle-là. Du rapport de force que nécessairement elle représente au départ, la relation hiérarchique est, en sa vérité, le constant passage à un rapport de différence : l’autorité du chef, expression de son désir et de sa présence, s’y recueille, s’y retire (pour ainsi dire) tandis que l’autorité du maître s’y développe en un espace devenu le sien.

Autrement, pour tenter d’échapper, sans y réussir jamais, à une relation de dépendance à laquelle, malgré tout, ils doivent leur place, les maîtres seront réduits (et nous y avons tous une propension) à adopter une attitude de complicité ou de revendication perpétuelle. Nous reconnaissons là le modèle de l’attitude infantile, entretenu non plus par le besoin d’aimer ou celui d’apprendre, mais par le besoin de commander.

Le maître, on le voit, partage alors à certains égards le même sort que l’élève. C’est-à-dire que, crispé sur son savoir devenu rapidement routinier, il est détenteur d’une autorité qui n’est pas la sienne, le représentant d’un désir qui n’est pas davantage le sien. Aussi, tant qu’il est dans cette situation, le maître est dans la position d’un élève destiné à le rester… pour satisfaire à ce qu’il croit être ses exigences (ne serait-ce que celle de devoir gagner sa vie) et qui ne sont, en fait, que celles d’autrui.

Le savoir, en effet, ne devient autorité réelle que s’il est l’expression, l’hypothèse au sens fort du terme entendu comme moyen d’accès (et de compréhension) au désir de celui qui le soutient et jamais ne pourra se dire en sa racine, son être. Que le savoir transmis soit mathématique ou littéraire, son autorité vient de ce qu’il est l’expression d’un désir de connaître, témoignage d’une présence jamais réductible au savoir qu’elle transmet. Le dernier mot de l’autorité véritable qui conjoint, dans une démarche toujours à reprendre, le savoir et l’être par la médiation du désir d’être et de connaître, est de l’ordre de la présence toujours non sue et non dite et à laquelle renvoient toute parole comme tout savoir véritable.

Ainsi, en étudiant le travail scolaire comme expression du désir de l’élève, nous en arrivons à poser l’autorité du maître comme révélation de son désir. Mais là n’est pas, pour aujourd’hui, notre sujet.

« Prendre charge d’une personne, écrit Heidegger, c’est l’aimer, c’est la pouvoir et la vouloir en la désirant. »

Le désir des parents et des maîtres, cette réalité difficile à cerner, voilà sur quoi, en définitive, il faut s’interroger lorsqu’on évoque l’autre rôle de la structure enseignante : le désir de l’élève. La paternité, comme la maîtrise ou l’autorité, consiste à vouloir l’enfant, comme l’élève ou l’inférieur, pour ce qu’il est, unique, prenant progressivement sa taille afin qu’au jour de sa maturité, à son tour, il puisse se pouvoir et se vouloir en se désirant, c’est-à-dire accéder à la toujours relative autonomie de l’homme.

Denis Vasse, s.j.

Docteur en médecine.


[1] Il est à peine besoin de préciser que nous n’entendons parler ici que des enfants dont le QI est normal et qui ne présentent pas de troubles somatiques ou psychiques tels qu’ils se trouveraient rangés dans la catégorie des malades.

[2] Cf. l’album de dessins de Sempe : « Tout se complique ».

[3] Il ne s’agit pas, ici, d’une pure logique de beaux sentiments. Il nous faut réaliser que l’enfant doit sa conception et sa naissance au désir des parents.

[4] Le contexte fait suffisamment saisir, croyons-nous, que les termes de « besoin » et de « satisfaction » n’ont rien à voir avec un vocabulaire à prétention éthique. Ils ne sont pas « péjoratifs » et n’appellent, en aucune façon, un jugement moral. Ce que tend plutôt à montrer cette étude, c’est que besoin et désir sont corrélatifs et qu’en réalité, chez l’homme, on ne peut pas penser l’un sans faire référence, au moins implicitement, à l’autre.