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Articles - La foi en la promesse. Croire, c’est se re-poser

Christus N°193, Janvier 2002 où l’article a été publié sous le titre « La foi en la promesse » et sans l’exergue de Paul Beauchamp.

2002-LA VOIX PORTEUSE DE PROMESSE

Denis Vasse

Ni Jacques, ni Matthieu ne présentent la pratique de la loi comme l’effet d’un don gratuit de Dieu. À l’homme de trouver en lui le point d’origine de la justice. À d’autres témoins de Jésus, à d’autres textes, même dans Matthieu, il sera donné de développer la conséquence : le point d’origine de la justice est celui où la justice nous vient d’ailleurs, et à titre de don1[1].

Paul Beauchamp

1. Sans promesse de vie en esprit et en vérité aucun interdit ne peut faire loi.

Seul le Vivant peut promettre la Vie aux vivants. Ce Vivant est l’Amour. L’Amour est le don de la Vie en acte. En lui se réalise originairement la communion des vivants dans la Vie qu’ils reçoivent. La promesse assure de la réalisation à venir d’une vie donnée à l’origine. Se fier à la promesse de l’Amour, c’est croire en celui qui me l’a déjà donnée. Il est Dieu. Vivre, pour Dieu, c’est être le Verbe qui se fait chair. Celui en qui se conjugue le Verbe et la vie est le Père de tous les vivants qui se révèle dans la chair de son Fils.

La promesse est la parole qui soutient la vie de la chair dans le temps, où elle fait l’expérience du mensonge et de la mort. Elle autorise l’homme à croire que ce qu’il ne peut accomplir quand bien même il le voudrait, se réalisera grâce au désir qui l’habite. « Vouloir le bien est à ma portée, écrit saint Paul, mais non pas l’accomplir ». Il croit à l’accomplissement de la promesse de Dieu dans le moment même où il reconnaît en lui ce qui y met obstacle, sa propre volonté et/ou son amour propre. Et saint Paul continue :  » Si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui accomplis l’action, mais le péché qui habite en moi ».

L’interdit, lui, est du côté de la Loi dont les articles indiquent ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour demeurer dans l’Esprit de celui qui la promulgue. La loi organise une société en peuple selon un certain nombre d’impératifs que chacun des membres doit respecter. Qu’elle soit valable pour tous donne à celui qui la prononce une autorité souveraine : celle-là même qui autorise les Vivants à vivre.

2. En respectant les interdits, l’homme dit sa foi en celui qui promet la vie.

Faire une promesse revient à demander à quelqu’un de croire sa parole. Celui qui promet doit être fiable. Il s’engage à faire ce qu’il dit, à donner ce qu’il promet. Le fondement de notre foi en la promesse de Dieu est que nous sommes vivants, que la vie nous a déjà été donnée et même si nous imaginons ne l’avoir pas reçue à l’endroit même où nous la refusons.

L’interdit permet à celui auquel il s’adresse de discerner l’obstacle qu’il met, lui, à l’accomplissement de la promesse : il s’édicte à l’impératif ou au futur dans une série de commandements qui font loi (Dt 5 6-21). L’obéissance à la loi ne trouve pas son origine et sa fin dans les interdits eux-mêmes. Elle ne trouve son sens que dans l’obéissance à celui qui interdit les fausses routes pour que se réalise la promesse. Il est faux de dire que nous obéissons à des interdits, nous n’obéissons en vérité qu’à celui qui nous les donne, afin que se réalise la promesse de son amour.

La loi s’édicte pour l’enfant au nom de l’alliance qui signifie la communion des vivants à travers laquelle la Vie lui est donnée. Dans la promesse qu’ils ont échangée, c’est du don de la vie qu’il s’agit et leur fidélité en est le gage. Obéir à la loi en tant que Parole donnée, signe de la promesse, conduit l’homme à découvrir en lui la liberté du vivant en qui se révèle la Vie de tous. Cette alliance n’a qu’un nom. Elle est la référence à l’amour le plus grand. Si Dieu est amour, il s’engendre dans la chair de son fils comme en tous ceux qui croient et vivent de cet amour. Le Fils engendré comme les fils adoptifs vivent de sa vie, le premier selon la chair, les seconds, en esprit et en vérité : le premier en étant obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix pour manifester la gloire de son père dans la résurrection et le salut des seconds qui sont pardonnés et sauvés selon la promesse du Dieu vivant dans son Fils.

Les interdits balisent, dans l’histoire, le chemin de la liberté sur lequel la vie nous est promise. Ce chemin conduit de la soumission aveugle au péché et à sa loi à l’obéissance à la lumière dans la foi. Ils donnent des repères pour discerner « la convoitise de la chair, la convoitise du savoir et l’orgueil de la richesse » (1 Jn 2, 16). Sauf à tromper et à se tromper, ils signalent ­- sans la nier – la voie de la convoitise et de la satisfaction pulsionnelle et indiquent la porte apparemment étroite du désir de l’Autre et la promesse de réaliser en nous la Vie. Mais ce n’est pas de suivre ou de ne pas suivre la loi qui donnera la vie au vivant. L’homme auquel la vie est promise est homme de désir. Non celui qui met son orgueil dans la pratique de la loi. S’il vit en esprit et en vérité sous la loi, il apprendra à discerner ce à quoi, sans elle, il demeurerait aveugle : la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la richesse. Sans elle, il court sans le savoir après sa jouissance (2 P. 2, 10) dans l’arrogance et le blasphème…au lieu d’entrer dans la joie du royaume. Sans elle, il ignore qu’il ment. Il n’en souffre plus. Dans le même mouvement, il oublie, il ne se souvient plus de la promesse et glisse dans la perversion d’une vie où il est seul, Dieu et maître de la Vie. L’interdiction – ce qui, de la loi, est dit entre le père et le fils, dans l’amour le plus grand – balise un chemin où l’homme ne peut pas se tenir seul ; il n’y entre qu’à la suite du Christ qui vient le chercher, en résistant à celui qui n’abolit pas la loi mais l’accomplit.

Si, dans l’Écriture, l’histoire d’Israël s’ouvre avec la double promesse faite à Abraham du don de la terre à sa descendance (Gn 12, 1-2) et du don de la Loi de Dieu, promulgué par Moïse. L’Évangile, lui, est la Bonne Nouvelle de l’accomplissement de ce don dans le maintenant de l’Histoire, en Jésus-Christ. Selon la promesse faite à nos pères (Ac 13, 32s; cf. Ep 1, 2), elle se réalise en Jésus-Christ, premier né de toutes créatures (Col 1, 15). Né en notre chair de la vie de l’Esprit, il meurt avec elle, il est compté avec les pécheurs selon la loi, et il ressuscite des morts selon la promesse et le désir du Père.

3. La promesse et le discernement des esprits. Orgueil ou amour.

Qu’il se love dans l’abandon bienheureux du petit tenue sur la poitrine de son père ou de sa mère ou qu’il s’élève dans la responsabilité du grand qui, à partir de l’âge de raison, pratique la loi, l’homme a besoin, tout au long du chemin, de rencontrer un témoin du combat dont il est le lieu entre mensonge et vérité, pulsion et désir, satisfaction et amour, vie et mort. Sans promesse et sans loi, ses pulsions ne visent que l’objet de ses sens auquel il se trouve aliéné. Avec la parole et la foi qu’elle révèle, le désir vise en lui autre chose que l’objet de ses sens, le Sens. S’il n’entre pas dans la vie à la lumière de ce discernement dont le père témoigne en portant la loi, le petit d’homme ne sera jamais délivré de ses fantasmes confondus avec ceux de sa mère ou de son père qui ne feront loi que pour lui, de manière sectaire. Sans frère et hors peuple, il sera livré à ses propres fantasmes, sans référence à la parole qui sourd en lui et lui révèle l’humanité qu’il partage. Là s’insinue le faux témoin, celui qui, ayant autorité, livre l’enfant à la confusion en ne lui donnant pas les moyens du discernement, en ne lui donnant pas la loi pour qu’il puisse consentir au détachement de ses pulsions et entrer dans le désir de l’Autre. Il ne s’agit pas d’éviter à nos enfants la difficulté de vivre, il s’agit de leur donner les moyens de vivre selon la promesse dont leur propre vie est le signe.

Veux-tu guérir de ton aveuglement dans la loi ? L’évangile, la bonne nouvelle promet ce que la loi ne peut pas te donner.

4 A qui obéir ?

A qui obéir ? Qui croire ? Y-a-t-il, en effet, blessure plus profonde que celle d’avoir accordé sa foi à un faux témoin tenant une promesse fallacieuse ?

En effet, pour entrer par la porte étroite du Royaume, il ne suffit pas que nous devenions les champions de la loi. Satisfaire à ses commandements sans la foi, sans désir et sans amour ne nous ouvre pas les portes de la Vie. Et d’une certaine manière, c’est de ce constat que naît notre espérance en Celui qui nous l’a donnée sous le sceau d’une promesse que lui seul accomplira souverainement. Nul autre que le Dieu de la promesse ne le peut. Croire que l’homme pécheur le peut ou qu’un autre dieu (idole) le peut serait tenir Dieu pour un menteur et faire de nous les enfants du père du mensonge qui ne donne la vie que pour mieux la reprendre ou dans l’arbitraire le plus grand.

En fait, livré à lui-même, le vivant se trompe et trompe. Niant la souveraineté de la promesse, il doute que Dieu soit Dieu. Ce faisant, en refusant de croire, il ment. Comme le Satan des premiers temps, il dit que Dieu ne dit pas la Vérité quand Il donne la Vie. Il dit qu’Il a peur parce qu’Il sait que le jour où les hommes mangeront des fruits interdits de l’arbre de la connaissance, leurs yeux s’ouvriront. Ils seront comme des dieux qui, connaissant le bien et le mal, se conduiront eux-mêmes hors du Royaume de Dieu. Connaissant le bien et le mal, ils se sauveront par eux mêmes et ignoreront l’Amour qui se révèle en eux, pécheurs, comme la Vie qui leur est donnée, comme le plus grand Amour.

Indexée de la méfiance du doute ou du refus, l’activité singulière du désir se détourne de l’Unité en déniant Dieu vers lequel il est originairement tourné dès lors qu’il se tourne vers les autres. Être sexué, différencié dans la chair, l’homme trouve la vérité de son désir inconscient dans une communion où l’un et l’autre font, dans la foi, l’expérience de Dieu, leur Origine. Or ce moment de l’unité dans la différence est de l’ordre de la parole dans la chair : il donne vie. Au contraire, dans la jouissance obstinée de la solitude orgueilleuse, le passage de la diversité des membres et des sens à l’unité du corps et de l’esprit est occulté Le désir est nié et la promesse censée actualiser la Vie dans la rencontre n’est plus tenue. La clôture sur le même pervertit le désir. En elle, la résonance de la parole s’éteint et le désir de l’Autre ne s’incarne plus dans la chair de l’homme où Dieu vient à notre rencontre. De n’être plus ordonné à la révélation de la vérité qui fait corps – la vérité qui parle – le désir se trouve désordonné, consumé dans et par le jeu des pulsions partielles, implosé par la peur.

5. La promesse et la peur.

Le refus de pécher ne fait pas entrer dans la foi. Souvent même, il renforce l’orgueil. Mais consentir d’abord à la foi, sans calcul et sans stratégie, comme l’enfant qui n’a pas peur de se laisser aimer, de se risquer dans une promesse de vie venant d’ailleurs que des constructions défensives de son moi, c’est se re-poser, être posé à nouveau dans les bras de celui qui l’aime. C’est naître à la vie promise.

La rencontre fonde le sujet dans  un rapport à l’Autre qui vient, et non dans l’imaginaire. On peut alors parler d’un consentement à un mouvement en soi qui fait sortir de l’image sans avoir à la refuser mais en découvrant en elle la médiation qui disparaît lorsque s’accomplit le désir de ce qui la sous-tend.

Ordonné au réel, le désir de l’homme est le gage de la Vie dans la chair. Il vise à la réalisation que la Vie engendre en lui. Il naît du manque à être par lui-même où vient sourdre, comme en un creuset de feu, une source intérieure.

Lorsque manque ce manque, l’homme éprouve une sensation de vide ou de plein qui le rend indifférent et l’isole. Il est soumis au fonctionnement automatique de ses organes jusqu’à l’excès de la gourmandise ou de l’avarice, sans régulation ni sens. Il ne sait plus ce qu’est la loi, il ne croit pas en la parole, il se demande comment « on » peut aimer. Il s’étonne indéfiniment de vivre. Il affirme qu’il ne vit pas.

6 La voix porteuse de promesse.

« Comment, s’interrogeait une patiente sur le divan, comment est-il possible de ne pas avoir entendu de promesse dans ma vie ? »

Soit il n’y en avait pas eue et elle en doutait.

Soit elle ne l’avait pas entendue ni n’avait pas voulu l’entendre dans la voix de sa mère ou dans la voix de son père.

Quand il n’y a pas de promesse dans la voix, continuait-elle, je suis abandonnée. Elle enchaînait : « si je refuse l’abandon où me met cette absence de promesse, c’est encore pire, je m’abandonne à l’abandon ». Et elle concluait dans l’exploration de ce champ précoce où les sensations de l’enfant s’entrecroisent et se lient habituellement avec les mots et la tonalité d’une voix qui chante la présence, que, le pire du pire, pour elle, était l’abandon des enfants : le sien.

Elle reconnaissait alors qu’elle avait l’impression d’avoir toujours été abandonnée. Tout de suite à la naissance ou plus tard ? Elle ne le savait pas mais elle riait de l’impertinence d’un abandon dont elle n’avait apparemment jamais souffert, comme elle ne disait jamais ce qui lui faisait plaisir, la rencontre.

L’exclusion de la manifestation de la souffrance comme de la joie enferme dans une attente sans désir, dans une passivité déconnectée pour longtemps du désir.

Il n’est pas aisé de restaurer les arches du pont du désir qui, habituellement, naissent d’une part des sensations aveugles de nos sens et, de l’autre, de la parole qui les rend vivantes. Comment laisser la chair s’ordonner à une voix qui la porte et la berce quand elle a été blessée, sous prétexte d’amour menteur, par une parole de mort qui l’entraîne dans la condamnation ? Comment réveiller en elle la foi en une parole de vie ?

« Un jour dira-t-elle, j’ai eu l’impression d’avoir été éveillée dans la foi…

C’est très doux, merveilleux, extraordinaire. »

Avec un sourire, dans une allusion au slogan anti-raciste : « Touche pas à mon pote », elle ajoutait : « Touche pas à ma foi ! ». Y toucher, c’est chercher à saccager ou à détruire le lien d’amitié ou d’amour qui lie à un être en insinuant que la parole échangée cache l’intention d’un vol, d’un viol ou d’un meurtre. Priver quelqu’un, un enfant, de sa foi en la promesse de l’amour au lieu de lui apprendre à discerner de quel esprit s’inspire le rapport qu’il entretient avec l’autre, c’est détruire la foi que parler à quelqu’un en vérité implique – « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé »-. C’est rendre suspecte toute promesse de vie en insinuant le doute au lieu même de la foi en ceux qui vivent de la parole.

Être ainsi dépossédé de la foi avec ses proches – avec ses parents ou avec ses frères – comme avec la Vérité qui parle en nous rend la vie insupportable. Les enfants, trop tôt baignés dans la dérision ou blessés par l’intrusion du mensonge qui accompagne les manœuvres érotiques ou les sévices de l’adulte sous prétexte d’amour ou d’éducation, auront la plus grande difficulté à croire en la parole qui berce et qui re-pose et qui autorise à croître en sa promesse. Leur propre sensibilité sera suspecte à leurs propres yeux et leur peau d’adulte se rétractera encore longtemps sous la caresse toujours susceptible de substituer au désir de l’Autre, à l’Amour, le débordement de la pénétration dans une jouissance sans joie, sans tendresse et, à terme, effrayante. Demander dans une sorte d’incantation rétroactive à « ce que personne ne touche à sa foi », n’est-ce pas, pour l’adulte, confesser qu’il a été la victime, plus ou moins consentante, d’une promesse pervertie. Il en appelle à la promesse en laquelle il ne peut plus croire aujourd’hui et qui l’aurait autorisé à vivre sans peur dans les bras qui le prennent et la vérité de la parole qui le révèle à lui-même dans son rapport aux autres et à Dieu. Y toucher blesse ou ampute son corps et ses membres de la joie désirée et le laisse tomber dans un mutisme où règne le fantasme de l’abandon le plus grand. Rendu complice par le plaisir provoqué chez lui jusqu’à l’orgasme déstructurant qui équivaut au meurtre de la vie, il survit sous le coup d’une condamnation de lui-même refoulée sous les dehors d’un épanouissement provocateur ou par le passage à l’acte répétitif d’une fuite en avant afin d’éviter le risque de se laisser aimer, de se laisser prendre au mensonge de la foi et de l’amour.

« Quand quelque chose me déplaisait, je faisais la gueule. C’était violent pour l’autre, un refus total de communication, d’explication et c’était violent pour moi aussi.

Je m’enfermais dans quelque chose de plus en plus inaccessible : c’était la rancune. »

Un tel fantasme d’inaccessibilité dit le désir de vivre détruit, amputé, dévergondé au lieu-même de la réalité d’une promesse de vie. A la place de la médiation du plaisir dans le déchiffrement de la pudeur, surgit le contraire d’une médiation, une débauche de corps sans nom et sans bras.

Pervertie, la promesse devient l’arme du menteur.

Le mensonge des origines est portée par la voix perverse qui fait mentir dans le corps la parole de vérité de l’Esprit. Elle dit que Dieu ne donnerait la vie que pour jouir du plaisir de se faire valoir ou du pouvoir de la reprendre. Ce Dieu pervers n’est pas celui qui se révèle en Jésus Christ.

Dès les premiers jours, la voix peut être porteuse, à l’intime de l’intime de la chair, de méfiance ou de violence. La peur bouleverse les sens. Elle remplace le désir inconscient de vivre avec les autres dans une présence réelle par la crainte de mourir. La voix pervertit la parole. En disant les mêmes mots, elle en inverse le sens : elle substitue à la vie promise, la mort. Portée par une voix et des sensations trompeuses, la parole est ressentie comme mensonge. Elle ne tient pas la promesse du sourire. Elle provoque la réticence et plonge dans la confusion.

Une telle voix n’est pas celle du prophète qui annonce l’accomplissement de la parole. Elle appartient au faux prophète qui ment en annonçant la catastrophe en lieu et place de la promesse de vie qui autorise l’entrée du sujet dans l’histoire d’un corps.

Le doute relatif à la promesse originaire, je l’appelle mensonge. Il est si archaïque qu’on peut le dire inconscient. Il n’en reste pas moins qu’il suscite chez le phobique, une peur dévorante qu’accompagne la nécessité de tout vérifier par lui-même. Il ne supporte pas le temps du désir : il faut que ce qui lui est promis ou dit soit réalisé sans attendre, sinon se réactive en lui, en lieu et place du désir, la peur d’une parole menteuse.

Il faut faire la différence entre l’accomplissement objectif ou imaginaire d’un objet ou d’une tâche et l’accomplissement de l’Esprit et de la Vérité dans l’Histoire des hommes qui ouvre à la vérité du sujet. Le premier évoque une réalisation parfaite et achevée, terminée. Le second s’entend comme la réalisation d’une promesse de vie, d’un don sans fin, éternel. Seule la confiance en la promesse autorise  la joie d’habiter ensemble un monde dont la réalité est garantie à chacun par la présence de tous  en Dieu ou de Dieu en tous.

7. Conclusion

Si la parole et la dimension d’altérité qu’elle exige ne tiennent pas la promesse de nous faire vivre dans la chair, nous n’avons – pour ainsi dire – aucune raison de nous soumettre à la loi du langage. Refuser de parler, et cela peut aller jusqu’au mutisme vengeur ou pathologique, c’est ne pas pouvoir et/ou ne pas vouloir – consciemment ou inconsciemment, à tort ou à raison – s’en remettre à celui qui parle et, à un degré de plus, à la parole même .

Ne pas vouloir croire si on ne voit pas, c’est se défier a priori des mots parce qu’ils sont trompeurs. Ne pouvant être entendus sans qu’il soit fait appel à la foi en celui qui les prononce, ne pas croire en la parole donnée, quand il s’agit de la vie, c’est toujours dire que la généalogie est grevée par le mensonge que le petit d’homme, en tant que fils, a à assumer dans sa chair.

L’enfant qu’un père fiable écoute peut consentir au surgissement de la parole et se risquer à l’obéissance en quittant l’oscillation mortifère entre mutisme et bavardage dont le dénominateur commun est le refus d’entendre. Ce refus n’était qu’un refuge où il croyait se mettre à l’abri d’une menace fantasmatique de rejet ou de mort, venue se substituer à la promesse de vie inhérente à un appel.

Transmise de génération en génération, la parole est ainsi fondée dans la promesse que tient le silence dans lequel elle est écoutée, au cœur de la chair. Ce silence où la voix résonne, donne corps à la parole. L’échange des mots ne se réduit pas au savoir ou à la connaissance du bien ou du mal, il est le lieu où se laisse discerner dans les effets de vie donnée et de joie partagée, l’esprit de la vérité, et, dans les effets de mort et de tristesse, l’esprit du mensonge. Dès lors qu’il écoute et qu’il parle, l’homme est divisé entre, d’une part, l’objectivité de ce qu’il sait, le savoir, et, d’autre part, la subjectivité de ce qu’il vit, la vérité : il est sujet. Il est divisé entre ce qu’il sait de lui, qu’il imagine de plus en plus adéquatement et ce dont il vit en vérité. De cette division naît le désir d’une rencontre dans l’espoir de vivre, enfin, de la Présence réelle dans l’unité d’une Chair Vivante.


[1] 1 Paul Beauchamp, D’une montagne à l’autre, La loi de Dieu, page 168, Paris, Seuil, 1999